C’est vrai que la poésie se répand, me disais-je l’autre jour après la lecture d'un
article d’Eric Loret. Non que sa lecture soit de plus en plus
répandue, ça se saurait, mais elle tend à sourdre hors du champ que
l’usage lui avait imparti, à infiltrer des textes qu’on
classera parfois en romans pour qu’ils soient plus
vendables (?) – et qui souvent sont ceux que j’aime. Ils ont en commun
une façon de ne pas arrêter le sens à ce qu’ils ont l’air de
dire et surtout
ils
ont en commun cette qualité de n’avoir au fond que très peu en commun
même entre eux. Les ventes des plus fameux doivent
dépasser parfois les cinq mille exemplaires (j’imagine, n’ayant
aucune notion de ces chiffres-là comme des autres) alors que leurs
auteurs dépassent la soixantaine et publient depuis près de
trente ans ; de plus jeunes aussi doués s’apprêtent à en vendre le
tiers au même âge et pourront en être heureux.
Il
n’est jamais si difficile en effet que de parler d’un livre vraiment
singulier ; il faut trouver des mots qui n’existent
pas encore, et quand on les a trouvés c’est pour se rendre compte
qu’ils auront toutes les chances de n’être pas compris : comment faire
sentir au lecteur quelque chose qu’il n’a pas encore
senti ? Mais comme il faut écrire son avis quand même, l’opinion est
un rite auquel on ne saurait déroger, on écrira plutôt sur tel autre
livre parce que c’est plus facile et qu’il n’est pas
si mal, ou sur celui qui ne vaut pas grand-chose parce qu’on peut
plus aisément dire pourquoi.
Parfois je me demande si ce bruit autour (à la périphérie) de la littérature ne finit pas par lui être encore plus nuisible –
plus trompeur – que le silence qui en réalité l’entoure.
S'il y a trop de bruit, pourquoi ne pas commencer par arrêter de l'alimenter : en cessant l'envoi de SP par exemple, l'idée n'est pas nouvelle, Deleuze le disait déjà. Mais voilà, la crainte (des éditeurs et des auteurs) serait que la littérature disparaisse totalement des journaux. Pour moi, c'est un risque à prendre, au point où on est. Car quel est le risque, réellement, quand on lit ce que l'on lit aujourd'hui dans les colonnes journalistiques ? Peut-être qu'il y aurait plus de place, au final, pour la littérature...?
Je suis bien d'accord sur l'effet pervers des envois massifs des services de presse ; c'est le début de l'inégalité : il est bien évident que les SP coûtent à l'éditeur, et que les éditeurs n'ont pas du tout les mêmes moyens. (Sans parler du fait qu'on les retrouve en occase - en occase à plus de 50 % du prix de vente, tout de même, ce qui est à la fois un mal et bien - chez Gibert et ailleurs dès la sortie du livre, et parfois même avant sa sortie.) Mais je vois mal cependant comment trouver un accord sur le sujet : les grandes maisons d'édition n'y auraient aucun intérêt.
Cette manie des résumés au dos d'un livre - comme une sorte de bande-annonce - est la plupart du temps pénible. Il faudrait inventer des livres qui n'aient qu'une "première (et dernière) de couverture".
Quant au bruit fait autour de la littérature, les amateurs savent faire le tri, surtout avec les yeux.
Il y a bien sûr de magnifiques libraires, j'en connais quelques-uns ; je leur laisserais volontiers la parole pour dire mieux que moi les difficultés qu'ils rencontrent pour faire leur métier comme ils le souhaiteraient. Je partage aussi votre vision à propos de "l'acte d'écriture accompli dans les soutes".
Sinon, pour le robinet (d'ailleurs c'est d'actualité), j'ai un plombier de confiance. Mais je m'accomoderais très bien des 4e, au fond je m'en fiche un peu ; c'est juste la disparition de la littérature (toujours en terme de représentation : la possibilité de savoir que ceci ou cela existe) qui me chiffonne un peu.