Dans
la foule des gens sur le quai, à la descente du train, je dépasse un
grand jeune homme. Un très grand jeune homme : il
doit faire près de deux mètres. Un peu plus loin, dans un genre
différent, un snowboard sur l’épaule, en voici un autre, bien plus grand
encore, sans doute près de deux mètres dix. Je cherche en
vain le sens de ces apparitions, je sais que c’est en vain : c’est
la réalité – quand j’arrive à Paris, hier en fin d’après-midi, un grand
type parmi la foule, puis un autre bien plus grand
encore. Ne cherchez pas le sens.
J’allais à la rencontre consacrée à Victoria Horton, qui présentait ses Attachements
aux Cahiers de Colette. J’aime sa façon de parler de son livre comme si
elle l’avait vu
s’écrire, en témoin. Ça a l’air polyphonique et violent sans le
dire, je suis reparti avec. C’était bien, mais il y avait trop peu de
monde – c’est trop souvent le cas, qu’il y ait trop peu de
monde.
Puis je suis allé écouter Pierre Jourde interviewé par les Cosaques Olivier Maulin et Romaric Sangars. Belle soirée, chaude ambiance. J’aime l’écrivain, qui n’hésite pas à
prendre le risque de dérouter son public ; son parcours m’intéresse, d’ailleurs j’en ai déjà parlé ici et là.
Il a d’abord été question de l’affaire Céline, à célébrer
ou pas, c’est les Cosaques qui
voulaient en parler apparemment. C’est un sujet qui m’intéresse et
qui ne m’intéresse pas. Disons que ça m’intéresse seulement parce que
pour moi c’est un non-sujet – et les non-sujets
m’intéressent. Personnellement, les hommages aux écrivains, les
anniversaires de leur mort ou de leur naissance, je suis contre (ou plus
simplement : je trouve ça crétin) – et même pour les
écrivains qui sont des braves types. Pierre Jourde aussi,
d’ailleurs. Qu’on fête en 2012 le 80e anniversaire de la publication du Voyage, pourquoi pas. Mais célébrer les auteurs, des
personnes, quoi, comme les saints autrefois, je trouve ça
malsain, tiens. Et facile. Et trompeur. C’est faire semblant de
s’intéresser à la littérature. On parle de l’auteur, et les
livres c’est déjà presque de la déco. Au mieux, c’est ce qu’il a
fait, ses positions, son destin qui compte. (Son physique ? bien sûr, ça
compte aussi.) (Déjà en 2010 avec Camus je ne
pouvais m’empêcher de me dire que la Peste, dans mon
souvenir, ça n’est pas un si grand livre, par rapport à d’autres.
Pourtant je n’ai rien contre Camus.) Mais enfin, ces anniversaires
ont le mérite de rappeler à qui s’y intéresse un peu que la postérité ne rend pas justice à la littérature ; je ne crois pas du tout à ce mythe rassurant.
Mais
ça va bien avec l’époque, cette mise en avant de l’écrivain au
détriment de son œuvre. Ça me fait penser à Sollers, tiens.
(Enfin, c’est Jourde aussi qui m’y fait penser.) En réalité je ne
sais pas du tout ce qu’ils valent, les livres de Sollers ; son nom les
cache, du coup je n’en ai jamais lu. Au fond, c’est
quand même dommage : Sollers est une victime.
C’est dommage parce que c’est la littérature qui disparaît, même quand on croit parler de littérature. Ce billet, par exemple,
ne parle pas du tout de littérature : il parle juste de la représentation de la littérature.
Il
a été question aussi du travail de critique de Pierre Jourde, il nous a
lu son article sur Philippe Djian, on s’est bien
marré. Il a un vrai talent (Jourde, pas Djian) pour relever les
travers d’écriture de ses contemporains. Bon, on le savait déjà ;
d’ailleurs cet article-là je l’avais déjà lu sur son blog,
mais ça fait du bien de rire un peu. Et ça ne fait de mal à
personne, pas même à Djian ; un jour il faudra réfléchir aussi à
l’étanchéité des cloisons entre les lectorats, qui nous vaut tous
ces auteurs insubmersibles.
Mais
en fait, Djian, moi, je ne l’ai jamais lu. Jamais eu l’idée. Pour cette
grosse cavalerie, mon radar personnel me suffit.
Les articles de Jourde, les charges, je les aime surtout parce
qu’elles me font rire ; même si je reconnais la pertinence de
l’argumentation. C’est bien de parler de la littérature qui n’en
est pas vraiment en montrant en quoi elle n’en est pas vraiment, et
c’est vrai que Pierre Jourde le fait très bien, mais au fond, je ne peux
pas m’empêcher de penser que ça risque encore d’être
une manière de ne pas parler de la littérature – puisqu’il
s’agit de montrer en quoi ça n’en est pas. C’est pourquoi je me réjouis
davantage quand le même Pierre Jourde nous parle
d’Alexander Dickow, par exemple. Vous ne connaissiez pas ? C’est bien ce que je dis. (Eh flûte ! je m’aperçois que ce bel
article a disparu des Confitures de culture, j’espère pour cause de publication en recueil ; ça lui fera quelques lecteurs en plus.)
Je disais l’autre jour la difficulté à parler des livres singuliers.
En réalité je connais (façon de
parler) pas mal de personnes qui le font de leur mieux, et souvent
très bien. C’est souvent l’audience qui leur manque. C’est pourquoi on
compte sur ceux qui ont non seulement le talent pour le
faire mais aussi une meilleure sono. (Bon, c’est vrai : qui c’est
çui-là qui veut mettre tout le monde au travail ? Désolé pour la
déformation professorale.)
Quant à moi, à titre personnel, je me réjouis de la lecture (prochaine ?) de l’œuvre encore en cours de Jourde, son
Maréchal absolu dont il nous a lu un bel extrait, c’était appétissant. Ce sera sûrement l’occasion de parler de littérature, quoi.
Et puis une fois rentré, encore une fois par un train qui, un peu après mi-chemin, n’existait plus, la SNCF est un esprit
farceur, j’ai trouvé cet écho au silence de mardi ; bien sûr Claro qu’on va continuer à échouer mieux encore.
Ben, il était temps, j'ai failli te prendre pour un écrivain
Vous me rappelez un petit regret ; à cause du train je n'ai pas pu rester trinquer avec les Cosaques et leur invité ; je me rattrape (même si c'est un peu tôt dans la journée).
Ah, les anniversaires... Même les anniversaires de naissance sont barbants et vains, si on y réfléchit.
(Oui, même dans le privé, les anniversaires... On devrait fêter tous les jours ceux qu'on aime.)