Dans
mon pays, les poètes sont les seuls à avoir couramment du lait. Des
fonctionnaires attitrés viennent les traire tous les matins. On leur
laisse juste ce qu’il faut pour
nourrir leur femme, s’ils en ont une. La mienne avait horreur du
mien, elle le trouvait trop salé. Mais là où je me suis moqué d’elle,
c’est quand j’ai appris que son pâtissier était justement
celui qui se réservait toute ma production. Je croyais la convaincre
ainsi. Non, elle a changé de pâtissier. C’est donc moi qui la dégoûte.
Une idée m’est venue. Je viens de me peindre les seins en bleu. Je prends mon bain de soleil sur la terrasse. Elle
arrive :
– Qu’est-ce que tu as ?
– Mais rien, dis-je.
– Regarde tes seins.
Je baisse la tête. « Tiens, dis-je, ils sont bleus ! »
– Ô mon chéri, dit-elle. Et la voilà sur moi, qui tète comme un petit veau.
Pierre Bettencourt, Histoires à prendre ou à
laisser, Lettres vives, 2002.
A lire, parmi beaucoup d’autres choses : un bel article du Matricule des Anges, déjà ancien (1997 !), par Eric Naulleau,
ainsi que, dans le même numéro, une interview, par Eric Dussert et Eric Naulleau.
Mais vous n'avez pas cette impudeur : les horizons marins traversent votre peau sans esclandre sans secousse.
@ Depluloin : "... nous allions nous faire traire par les fermières alentour..."C'est quand même beau, les souvenirs d'enfance !