Ne me croyez pas. Autour
de moi, le grisâtre pue comme un œuf pourri, je suis un œuf
pourri. Un sale petit menteur qui tapait sur une vieille machine à
écrire, puis sur une électronique, un ordinateur. Ainsi passaient
dimanche matin après dimanche matin, se redressant vers une médiocre
modernité. Le monde s'allongeait debout sans autre mot à dire que
cette sentence : je n'ai pas de sexe. J'ai perdu mon sexe
quelque part vers l'âge de trois ans, j'aime bien penser à moi en
termes d'âge, je n'ai pas d'âge, mais j'aime bien. Le monde se
transforme en bénéfice, tout devient bénéfice pour moi, je suis
le grand bénéficien, je bénéficie de crimes, de violences,
d'assassinats, d'accidents de voiture et de vomissures à la viande
hachée. En promotion celle-là, trois pour le prix de deux, toutes
vomies mais avec points de réduction pour l'achat de vaisselle ou de
bouffe pour chien, chat, hamster, crocodile ou serpent. C'est ainsi
que tourne le monde, et ce monde épingle à mon œuf la médaille du
mérite. Le monde me remercie, me dit que je suis quelqu'un de bien,
de courageux. Je suis bénéfice, je suis celui qui monte, ils sont
contents de moi. Je fonctionne et fonctionne bien et fonctionne
mieux, je rentre dans le moule et le moule m'écrase. Ils sont
contents que le moule m'écrase. Je souris, tout va bien. Moi,
médaillé sur mon œuf, je n'ai pas honte, j'ai bénévicié.
Andreas Becker,
Les Invécus, éditions de la Différence, 2016, p.
69-70.
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