Bêtes
La
Himbaudière nous ouvre la porte d’un pays de hérons que nous voyons
toujours en vol, de loin, traversant le ciel à notre
approche. Enfin, à la sortie d’un coude, nous découvrons à trois
mètres de nous un jeune héron silencieux perché sur un arbre mort. Il
semble voir mieux qu’entendre et sans doute regardait-il
ailleurs. Je comprends mieux son nom, le héron cendré : les ailes
fermées, cette bête est grise comme de la cendre de papier. Mais nous
avons posé notre ombre sur l’eau ; il ouvre sur
nous son œil rond, monte en piqué, puis s’établit dans un vol lent
et très lourd.
Bruits de bêtes. L’envol des mouettes rieuses : un souffle de dix poitrines. L’envol du pigeon : une courroie de
moteur. Une vache qui meugle : une corde basse de guitare.
Mais le héron, on ne l’entend pas, ébloui qu’on est par le déploiement de ses ailes.
Sieste
à couvert de hauts arbres, le chant des pigeons nous enveloppe, et ce
chant a la forme en voûte des branches qui nous
donnent l’ombre. Un écureuil mort couché sur le flanc, la gueule
béante, des mouches vertes et noires s’y promènent comme dans un nid,
tout le reste du corps intact a gardé sa beauté.
Un frêne
Passée
l’écluse de Maingue, qui est la plus haute sur l’Oudon, nous entrons
dans la ville de Segré, pour tomber en plein centre
sur un petit barrage très sale mais facile à monter. Juste
au-dessus, les premières lentilles. Dans cette partie dite non navigable
puisque sans écluses, le Guide fluvial ne donne plus rien. La
remontée se fait sans effort, mais nous chercherons en vain un lieu
de camp éloigné du vacarme de la route. La pâture choisie par défaut,
juste en aval du barrage de Courpivert, est immense, il
faut un quart d’heure pour en faire le tour et voir si elle n’est
pas habitée de vaches ; de son côté, un papillon blanc opiniâtre explore
toute la partie ouest du pré.
La
nuit tombe. C’est notre dernière nuit, la neuvième. Couchée sur le dos
j’observe un grand frêne ; ses branches
noircissent progressivement, tandis que ses feuilles gardent couleur
plus longtemps. Il n’y a pas un souffle d’air et l’arbre n’abrite aucun
oiseau ; pourtant il bouge, il remue comme
quelqu’un qui s’endort et qui rêve, ou bien alors c’est qu’il
respire ; de son propre mouvement il bouge, on dirait presque qu’il va
se déplacer pendant que nous dormirons. Les grillons
commencent à chanter très fort et il écoute ; cet arbre doit avoir à
peu près mon âge et nous ne nous reverrons jamais, puisqu’il habite ici
et pas moi.
Victoria Horton, Pagaie simple, Les Contrebandiers éditeurs, 2013, p. 58-59.
Le fil de l’eau aussi est celui d’une lecture, c’est sans doute pour ça que
quelques pages plus loin l’auteur nous avoue n’y plus emporter de livres.
Victoria Horton, quand elle ne pagaie pas, est aussi l’auteur de deux romans chez Quidam, Grand ménage et Attachements
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