22 novembre 2011
Dans
l’ascenseur d’une entreprise de la ZAC, il se passe un événement
imprévue car Dimitri, qui est venu solliciter le mécénat
de la firme pour une de ses idées théâtrales, est en train de voir
son édifice vital s’effondrer; c’est poignant, ça fait beaucoup de
poussière de sentiments, ça se passe très vite et entièrement
dans l’ascenseur.
Dimitri,
26 ans, est comédien, il a le statut d’intermittent du spectacle, de ce
côté-là tout est réglé. Le problème est qu’il a
pas mal de mauvaises idées et que ces mauvaises idées ont un grand
succès ; évidemment, il en souffre. Par exemple, pour amuser les
touristes qui se morfondent en montagne, il a inventé un
numéro où, déguisé en berger, mal rasé et les ongles crasseux, il se
jette sous les roues des autocars et fait un scandale dès que le
chauffeur descend. Ou alors, quand il est Père Noël devant
une supérette, il chevauche un pauvre renne avec les enfants, les
commerçants sont ravis de cette vision du théâtre qui fait vendre des
pommes, etc.
Or,
dans l’ascenseur, Jonathan, qui est en charge du marché
d’outre-Atlantique, le secoue et lui dit son fait. Crois-tu que
c'est cela le théâtre ? Crois-tu que la nature besoin d’être
théâtralisée ? Jonathan le traite d’imbécile avec un séduisant accent
américain. Si Jonathan est venu vivre en Auvergne,
c’est qu’il est adepte du Nature Writing, un courant
d’écriture poétique plus répandu aux Etats-unis qu’en France, où l’on
s’en va dans la nature, on s’imprègne, on s’imprègne, tous les
sens à l’affût, puis, une fois rentré, on note ses sensations
intimes de la forêt. Jonathan déteste plus que tout rencontrer dans ses
promenades un de ces comédiens faisant le pitre pour un
groupe de randonneurs. Il pense que Dimitri doit stopper dès
aujourd’hui cette carrière absurde. Jonathan trouve d’ailleurs Dimitri
très beau et prometteur, mais il le houspille encore un peu. Il
lui dit : « On dirait que tu es doué pour inventer le mieux dans le
domaine du pas génial. »
Nonobstant la brutalité de l’attaque, Dimitri est bouleversé par une telle franchise. En même temps, il se rend compte qu’il est
homosexuel. C’est beaucoup pour une seule journée, heureusement que l’ascenseur est lent.
On les apercevra au loin, dans les semaines qui suivent, batifolant dans la campagne, escaladant les arbres, marchant
délicatement sur l’eau des rivières.
Emmanuelle Pireyre, Foire
internationale, Les Petits matins, 2012, p. 23-24.
Voilà : c’est une des microfictions de Foire
internationale, cette Foire internationale annuellement
organisée par notre belle commune de Cholet, Cannes ou Rambouillet sauf
qu’elle est dans le Massif central sinon j’aurais été au
courant plus tôt.
(Quand je pense qu’il aura fallu qu’Emmanuelle Pireyre ait le Prix Médicis avec Féerie générale pour que je lise ses livres. Les prix littéraires ne seraient donc pas totalement
inutiles ?)
Comme avec Féerie générale on baigne dans cette impression de voir notre monde – mais vu d’ailleurs. Ou alors d’avoir
spectaculairement changé de lunettes. Le familier nous interroge.
En tout cas je recommande aussi chaleureusement ce Pireyre-là que l’autre. On a en outre tout à gagner à découvrir cette
collection Les grands soirs des éditions Les Petits matins (rappelez-vous Cécile Mainardi, Joseph Mouton, Ludovic Bablon, David Lespiau…)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire