Je me rappelle ne rien voir
encore et me le dire alors que nous étions à quelques centaines de mètres du
Grand Canyon. Ou plutôt une phrase qui passe et repasse sous mes yeux tandis
que je lis l’équation du nénuphar de Pascale Petit me le rappelle :
l’homme regarde dans la
chambre avec cet air qu’on a quand on regarde dehors par la fenêtre d’une
chambre d’une seule ville je ne vois toujours pas le grand canyon
Et l’idée, quelque chose comme
C’est l’inverse d’un monument, le grand Canyon, me traverse l’esprit ;
cette grande faille dans la plaine qu’on ne voit que lorsqu’on est au bord,
quelque chose comme l’envers de Monument Valley. Et d’un coup je me demande (je
me demande n’est pas la bonne phrase, il vaudrait mieux dire on me
demande mais la demande se fait à l’intérieur de moi-même) de quoi l’équation
du nénuphar est-elle l’inverse ?
Mes compétences mathématiques ne
sont pas à la hauteur. Quelque chose manque. Fait défaut. Fait faute.
l’idée s’insinue que fabriquer un
alibi sera nécessaire et qu’il faudra le plus grand nombre de témoins pouvant
certifier vous avoir vu
(p. 83)
L’équation du nénuphar, tout de
même, préexiste à l’équation du nénuphar.
« L’équation du nénuphar
illustre bien le phénomène de la croissance dans un milieu fermé. Imaginons un
nénuphar planté dans un grand lac qui aurait la propriété héréditaire de
produire, chaque jour, un autre nénuphar. Au bout de trente jours, la totalité
du lac est couverte et l’espèce meurt étouffée, privée d’espace et de
nourriture. Question : Au bout de combien de jours les nénuphars vont-ils
couvrir la moitié du lac ? Réponse : non pas 15 jours, comme on pourrait le
penser un peu hâtivement, mais bien 29 jours, c’est-à-dire la veille, puisque
le double est obtenu chaque jour. Si nous étions l’un de ces nénuphars, à quel
moment aurions-nous conscience que l’on s’apprête à manquer d’espace ? Au bout
du 24ème jour, 97% de la surface du lac est encore disponible et nous
n’imaginons probablement pas la catastrophe qui se prépare et pourtant nous
sommes à moins d’une semaine de l’extinction de l’espèce… Et si un nénuphar
particulièrement vigilant commençait à s’inquiéter le 27ème jour et lançait un
programme de recherche de nouveaux espaces, et que le 29ème jour, trois
nouveaux lacs étaient découverts, quadruplant ainsi l’espace disponible ? Et
bien, l’espèce disparaîtrait au bout du … 32ème jour ! »
C’est l’équation du nénuphar
expliquée par Albert Jacquard dans l’équation du nénuphar d’Albert
Jacquard. Albert Jacquard était un nénuphar particulièrement vigilant qui nous
a quittés il y a deux ans.
Quand je disais qu’il y a quelque
chose qui manque.
Mais dire cela ne dit pas que l’équationdu nénuphar de Pascale Petit, qui n’est pas publiée par
Calmann-Levy comme l’équation du nénuphar d’Albert Jacquard mais par les
éditions Louise Bottu, qui n’est pas non plus un essai mais plutôt, s’il
fallait à toute force lui trouver un genre, un poème, est aussi un livre
d’amour. Un livre d’amour qui manque.
elle a les mains derrière elle appuyées
contre le mur pas loin de l’embrasure
elle a la tête un peu en arrière
le désir avec son regret en contrechamp qui fait
ressortir l’absence
l’ombre portée de l’homme sur
elle et on pense à deux boxeurs elle ne
le quitte pas des yeux comme si elle savait qu’elle ne devait pas le quitter
des yeux ne le quitte pas des
yeux ne le quitte pas des yeux filature immobile ne le quitte pas de yeux prête à lui dire ce qu’elle attend de
lui prête à lui avouer tout prête à lui donne un exemple
Un livre d’amour qui manque à
votre bibliothèque peut-être aussi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire