dimanche 25 octobre 2015

Mon jeune grand-père (108 et dernier)



Voilà. La carte suivante n’est pas la suivante. Me voici de nouveau en août 1916. Ça veut dire qu’Edmond n’est plus à Bütow. Il est parti, il est rentré. Il est retourné chez ses parents. C’est un tout jeune homme, il a encore sa place là-bas. Même si cette maison, à Amiens, au 17 rue de l’Abbaye, il ne la connaît pas encore. De même qu’il ne connaît pas encore Anne-Marie, qu’il rencontrera à Amiens, et qui deviendra ma grand-mère. Parce que lui, Edmond, ne deviendra jamais mon grand-père. Il aura six petits-enfants, mais il ne deviendra jamais le grand-père de personne.
Son estomac, dont il se plaint dans quelques-unes des cartes que j’ai recopiées, l’emportera, dans dix ans à peine. Il est probable que c’est à sa captivité qu’il doive sa mort juste retardée, comme il lui doit peut-être aussi sa survie. C’est là, dans les terrains clôturés de Reisen et de Bütow, dans le petit rectangle plus de cent fois répété de la carte postale, à chaque fois trop courte pour tout le rien qu’il lui faut dire, pour dire aux siens que oui, il est là, il vit ; c’est là qu’enfin un petit-fils de cinquante ans fait connaissance avec le tout jeune homme qui aurait dû être son grand-père.

2 commentaires: