Merci est le
deuxième livre que je lis de l’Argentin Pablo Katchadjian, après Quoi faire, récemment paru aux éditions Le Grand Os (Merci
pour sa part est paru aux très récentes éditions Vies parallèles dans
une traduction de Guillaume Contré). Eh bien ce Katchadjian, je ne suis pas
près de le lâcher. Je trouve son travail proprement fascinant. Plus narratif
que Quoi faire, Merci partage avec ce dernier la récurrence des
motifs, carrément obsessionnelle dans Quoi faire, plus discrète dans Merci,
laquelle suscite chez le lecteur ces impressions bien connues de « déjà
vu » qui nous font mettre en doute la réalité.
La dimension onirique est
toujours présente mais moins marquée et il n’est pas difficile de faire un
résumé objectif de Merci : le narrateur est un esclave acheté pour
sa bonne mine par un châtelain nommé Hannibal, plutôt bonhomme en apparence et
même bienveillant avec son personnel pour un esclavagiste (logé dans une
chambre confortable du château, notre héros trouve régulièrement son petit
déjeuner servi au réveil), mais qui charge régulièrement son esclave de tâches
si humiliantes et si horribles que celui-ci ne peut pas nous les décrire.
Suivent des événements qui, mis bout à bout, constituent une histoire à
proprement parler, tout aussi facile à résumer, mais que je ne vais pas vous
raconter puisque vous allez lire le livre – et qui constituent en même temps
autre chose qu’une histoire.
Car tout n’est pas si facile à
dire. De temps en temps, une phrase s’arrête, inachevée. D’autres fois, ce sont
les personnages, qui ne peuvent pas trouver les mots pour dire ce qu’ils
vivent, ce qu’on leur fait subir. Le narrateur lui-même, mais aussi Ninive,
jolie servante d’Hannibal qui reçoit chaque nuit la visite de son maître, et
qui ne refuse qu’au héros le récit de ses misères. Et l’on sent bien – on
verra, même, on verra sans savoir – à quel point ce qui n’est pas dit dépasse
le pouvoir des mots.
Le seul choix, celui qui s’impose,
est celui de la révolte, dont notre narrateur devient le héros (j’ai vérifié
que l’information était en 4e de couverture avant de vous la donner,
hein). Mais un choix qui s’impose, poussé par autrui qui plus est – les autres
esclaves mettant notre héros au pied du mur – est-il encore un choix ?
Evidemment c’est la liberté elle-même qui est en question, et l’identité, car
est-on encore soi-même lorsqu’on obéit à un choix dicté d’avance ? Tout
cela n’est pas dit – heureusement – mais plutôt évoqué par des événements au
caractère onirique marqué qui donnent à cet étrange roman une puissance d’abord
poétique.
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