Bütow, le 26 novembre 1917. Mes
chers parents.
Le courrier n’arrive pas d’une
façon normale, mais j’ai tout de même la
chance d’en recevoir. Ces deux
premières lignes sont écrites plus gros, comme si Edmond avait oublié le manque
de place sur la carte. Il paraît qu’il y en a beaucoup à la censure.
Notre ennui sera donc bientôt terminé. Tout ce retard est dû comme je vous l’ai
déjà (« dit » manque)
aux fermetures de frontière ; les journaux d’hier disaient même qu’elle
serait fermée dorénavant jusqu’à la fin des hostilités avec seulement de temps
en temps des ouvertures de 24 ou 48 heures. Cela ne ménage (« ne ménage » ? ça ne doit
pas être ça, mais ça ne ressemble pas vraiment à « me présage »)
bien des irrégularités dans la correspondance et les colis. C’est un petit
malheur surtout s’il ne s’en perd pas trop. Vous aussi sans doute vous aurez
été quelque temps sans nouvelles de moi. Pourvu que mes cartes ne se soient pas
perdues. J’espère que mes cartes vous portant mes vœux de bonne fête à tous
deux seront tout de même arrivées à temps. Il
avait pris une bonne marge de sécurité. Les cartes reçues hier
étaient une carte de Papa du 18 et une carte de l’oncle Desmarets du 24
octobre. Il est bien gentil de me donner de temps en temps de ses bonnes
nouvelles. Il y a presque la même
phrase, à propos du même oncle inconnu, dans la carte du 18 juin précédent.
Il va ressembler maintenant à un jeune homme ; lui si gros. 30 livres de
perdues cela doit se voir. Il m’annonce que vous aurez bientôt la visite de la
cousine Gabrielle et de sa mère qui vont retrouver leur père près de chez vous.
La distribution des colis se poursuit de façon très lente. A partir d’ici l’encre est nettement plus
foncée, presque noire. J’ai reçu les n°s 25 et 1. Tout était en très
bon état. La confiture de pommes était très bonne et est arrivée dans de bonnes
conditions. S’il n’y en a pas en route, il serait temps de m’expédier de la
pâte dentifrice. Le temps ici n’est pas brillant. Depuis trois jours il pleut
sans cesse et le vent souffle en tempête. Nous en sommes quittes pour rester
dans nos chambres. J’espère mes chers parents que ma carte vs trouvera en bonne
santé car voilà plus d’un mois que je suis sans nouvelles de vous. Je vous
embrasse tous les 2 bien fort ainsi que Geneviève et Louis et toute la famille.
Votre fils qui vous aime de tt son cœur. EAnnocque
C'est bizarre : on vient lire "Mon jeune grand-père" en espérant à chaque fois une "suite", mais on sait qu'il n'y en aura pas, qu'à quelques nuances près, on retrouvera les mêmes préoccupations réduites au va-et-vient du courrier, à la réception des colis, aux infimes "nouvelles" (aujourd'hui, cependant, celle de la fermeture des frontières est importante). Edmond ne peut rien dire d'autre. Et pourtant, on continue de lire avec intérêt.
RépondreSupprimerTout à fait. On est enfermé dans le petit rectangle d'une correspondance qui n'a rien d'autre à dire qu'elle-même : un signe de vie - et c'est à la vie qu'on s'attache.
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