sans transition puisque nous
étions des filles sans transition, j’ai voulu raconter mon histoire à Elodie,
mon histoire depuis le début, les vallées se succédaient, il n’y avait pas une
source, pas une seule, nos boussoles et nos cartes dans les sacs à dos et les
nuits je rêvais d’une chose familière qui n’avait aucun rapport avec de ce que
je racontais et nous allions, sans lettres, demi-évaporées les lettres
j’avais commencé mon histoire par
les oreilles. Chez moi on trouve des hommes sans oreille et comme ça, sur la
route, dans la Kangoo qui faisait un bruit de tonnerre parce que je porte tort
d’une façon fatale aux voitures même quand je ne les conduis pas, comme ça dans
la Kangoo asthmatique alors qu’Elodie est imperturbable, même si parfois
elle m’interrompt par un toussotement aigu de tuberculeuse
le savoir indiciaire se
présente sous forme d’une oreille
mon père en avait une fort
décollée et avant lui son père en avait une fort décollée – père qui sortit de
l’inconnu quand son père à lui de même oreille sortit des tranchées et de l’avant
(et donc de l’inconnu) et à l’oreille le père reconnut le fils. Tous 2
traversèrent la mer rouge, père et fils d’oreille décollée, droits sur le pont
du bateau, l’un sortant des tranchées et l’autre de l’inconnu, les 2 de même
oreille gauche décollée et après eux mon père qui fut de même oreille gauche
décollée n’allait pas en rester là
Marie Cosnay, Sanza lettere (road movie), éditions de l’Attente, 2015, p. 60-61.
(Oui, là je suis encore une fois embarqué
avec Marie Cosnay, quelque part entre un meurtre invisible et les élections en
Grèce ; il y a encore de la place dans la Kangoo si vous voulez.)
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