dimanche 31 août 2014

à travers la Claire-voie de Michel Gremeaux



Ça s’appelle Claire-voie et ça se présente comme un abécédaire, série de courts textes dont chaque titre est une chose quotidienne et plutôt domestique, Arrosoir-Bac-Balustre, une chose pas sauvage donc, plutôt rassurante apparemment, Banc-Barre-Bibliothèque-Bicyclette, une chose qui s’offre à la vue, Chambre-Chapeau-Claire-voie, une chose qui donne à voir aussi : Claire-voie donc, par exemple :



Claire-voie



Au bout d’un fil électrique sous un abat-jour l’ampoule de la cave envoie une faible lumière circulaire reproduite en plusieurs exemplaires le long du passage entre les tonneaux et les casiers à bouteilles, laissant une large part d’obscurité tout autour à quelqu’un qui voudrait se cacher, par exemple derrière cette porte ouverte près d’une cloison à claire-voie qui sépare les boxes, abat-jour et ampoules piquetés de résidus noirâtres d’insectes qui se balancent doucement sous la voûte avec des variations en intensité, éclairant mal un reste de tas de charbon à côté d’une chaudière bi-énergie de marque MORVAN, tout en laissant entrevoir dans la pénombre un escalier à vis aux marches humides, étroites et glissantes ainsi qu’à faible distance une écuelle emplie de grains d’orge empoisonnés.

Par un soupirail on devine le guidon du vélo de femme hollandais noir avec sa sonnette et ses poignées en caoutchouc rouge.





Par exemple (pris à la page 45). Qui s’offre à la vue ou qui donne à voir pour voir qu’on ne voit pas forcément l’essentiel. Les objets s’imposent à notre vue et nous serions tentés dans leur évidence de croire que ce qui est vu est ce qui existe alors que ce qui est vu n’est que l’indice de ce qui ne l’est pas. On n’avait pas forcément vu par exemple que sous son allure d’abécédaire et de collection de choses ce texte est en réalité un roman. Un roman lacunaire et putatif, un roman qui ne dit pas ce qui se passe mais qui le donne à imaginer en creux. Le narrateur qui n’en est pas un puisque le texte entier est descriptif porte sur ces choses un regard qui n’est pas celui d’un collectionneur de cartes postales mais plutôt celui du photographe de Blow up ou du dessinateur de The draughtman’s Contract. Car il y a des personnages aussi. Opaques comme ils le sont sur une photographie. Opaques comme ils le sont dans la vie quotidienne car même si heureusement on oublie la question que sait-on de ce qui anime autrui. D’une jeune fille qui doit être celle de la maison et d’une femme qui doit être sa mère, on ne perçoit que l’attentive fébrilité comme la queue d’un chat immobile qui seule bat. Quelque chose est sur le point d’avoir lieu.

Claire-voie, de Michel Gremeaux, vient de paraître aux éditions Le bois d’Orion, accompagné d’une préface de Luc Louwette.

2 commentaires:

  1. J'adore "Ce qui est vu n'est que l'indice de ce qui ne l'est pas" (par exemple que cet abécédaire est un roman (lacunaire et putatif))...

    Vous avez l'art de nous donner envie de lire :)

    Michèle P

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    1. Plus on avance dans la lecture de ce livre, plus on aime ce qu'on lit.

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