Le 27 avril 1917. Mes chers parents
Le courrier marche mieux en ce moment. Cette
première ligne est écrite moins petit qu’à l’accoutumée : « moment »
est même coupé en bout de ligne. Comme si Edmond avait oublié le manque
de place. Elle se resserre
progressivement sur les lignes qui suivent. J’ai reçu la lettre de Louis du 9, les cartes de Papa des 10.11.12.13 et une lettre de
Lucie du 11 A. La lettre de Louis m’a fait grand plaisir, j’y comptais du reste un peu. « Tu devrais écrire à ton
frère. » La phrase est possible. Le mot de « captivité » y était peut-être, qui s’est transmis jusqu’à aujourd’hui. Je
travaille en ce moment à son service à fumeur et j’espère pouvoir
l’envoyer dans mon prochain colis dans le courant du mois de mai. De
cette façon il pourra sans doute le voir à sa prochaine
permission. Lucie a l’air d’avoir entendu mes plaintes, elle m’écrit
une gentille lettre très emballée ; je crois que malheureusement elle
va un peu vite. Edmond
n’en dit pas plus. Nous ne saurons pas en quoi elle va un peu vite – la
fin de la guerre ? la libération des prisonniers ? En tout cas
cela veut dire qu’il considère que ses parents savent ce qu’elle a
écrit. « Ton cousin se plaint de ne plus recevoir tes lettres. Elles
l’amusaient beaucoup. » « Ça ne doit pas
être drôle tous les jours. » J’ai
reçu plusieurs colis : les postaux n°s 18.22.26.27.29.30.1.2 les colis
gare n°s 17 et 18
et un colis de pain du 4 avril. Tout est arrivé en bon état sauf un
colis poste le n°22 qui est arrivé complètement ouvert et avec seulement
la moitié de son contenu. Mais ce n’est qu’un petit
malheur. Même après avoir revu les colis dans la grande
Illusion, je m’étonne toujours qu’ils arrivent. Mais peut-être que les nombres manquants représentent ceux qui n’arrivent pas. Il
me semble que Louis se civilise, lui si ours avant, servir de
cavalier servant à Suzanne, c’est étonnant. Dites-lui que je le
félicite. Si
Louis plus jeune était un de mes élèves, il aurait probablement droit à
un PAI voire carrément à un PPS. Il serait étiqueté ceci ou cela. Avant
on ne
disait rien ou alors entre les lignes, on espérait sans bien y
croire que les choses rentrent dans l’ordre, puisqu’il devait y avoir un
ordre. Aujourd’hui on colle des étiquettes.
Dites à Madeleine
que je lui envoie mes félicitations pour ses 16 ans et que je lui
souhaite de passer son prochain anniversaire au milieu des
siens. Car Madeleine et Jean, son petit frère, sont hébergés ; et je ne sais pas vraiment qui ils sont.
Nous nous sommes
réunis à plusieurs camarades et nous avons fait venir un jeu de croquet.
Ça fait passer le temps assez agréablement. Je vous
quitte mes chers parents en vous embrassant tous deux bien fort,
ainsi que Geneviève et Louis et toute la famille. Votre fils qui vous
aime de tt son cœur. Et là du coup c’est tellement serré qu’il n’y a même plus la place pour la signature.
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