lundi 7 avril 2014

Mon jeune grand-père (32)

  Le 23 avril 1917. Mes chers  parents.
Vendredi je vous ai expédié un colis contenant mes premiers travaux de Kerbschnitt. Je l’ai emballé de mon mieux et j’espère qu’il arrivera en bon état. En voici le contenu. Un cadre à photos pour maman, une glace à main pour Geneviève, une boîte à épingles à cheveux que je ne destine à personne. La prendra qui veut. Oui, Edmond, tout est arrivé en bon état. Ton emballage était efficace. Un presse-buvard qui est destiné à Louis Mangot, car j’ai l’intention de faire quelque chose à tous les membres de la famille. Louis Mangot. « Mangot » est le nom de jeune fille de mon arrière-grand-mère. Je m’en souviens car intérieurement ça m’a toujours paru un peu incongru, car ce mot, qui désigne aussi le fruit du manguier sauvage, se rattache dans mon esprit à mes autres origines, loin des confins de la Picardie et de l’Artois. Alors je cherche un peu et je trouve, si je ne me trompe pas, qu’il doit s’agir d’un cousin germain de mon jeune grand-père, probablement plus jeune encore que lui. Pour bien faire il faudrait vérifier tout ça. Il y a aussi dans le colis 1 catalogue de l’exposition. Puissent tous ces objets faits en pensant à vous vous faire plaisir. Vœu réalisé. J’ai reçu la photo de Louis casqué, il est très bien, il a l’air terrible. Il s’agit bien sûr cette fois-ci de son frère aîné. Le point après cette phrase a l’air d’une astérisque, mais je ne vois pas du tout à quoi elle renverrait. Le courrier reçu se composait des cartes de papa des 3.4.5.6.7 et la lettre de maman du 8. Les colis reçus sont les postaux n°s 14.20.21.23.24 et un colis de pain du 28 mars. Tout était en bon état. J’ai été bien peiné d’apprendre la maladie de mon oncle Hector. Comme j’ai gardé ouvert le fichier « généalogie » où j’ai retrouvé Louis Mangot et bien qu’il soit très lacunaire, je peux écrire qu’il s’agit certainement d’Hector Mangot, le père précisément de Louis à qui Edmond destine le presse-buvard. J’ai noté qu’il était commandant, comme son beau-frère, le destinataire de cette carte. J’espère que ce n’est pas grave et qu’il sera bientôt remis. Je ne sais pas s’il s’est en effet remis. Je sais juste qu’il est mort le 21 septembre de cette même année 1917. Il me semble qu’il y a longtemps que je n’ai pas reçu de nouvelles de mes chères cousines. Est-ce que le beau zèle de Lucie serait passée (du coup Edmond en laisse passer une faute) ou bien est-elle souffrante ? Ses lettres me faisaient pourtant plaisir elles étaient toujours amusantes. Lucie Mangot, donc, homonyme parfaite de sa tante, la mère de mon jeune grand-père. Cousine germaine d’Edmond, cousine aussi de Louis Mangot. Une famille. La mienne ? Si Jean ne vous répond pas, c’est qu’il n’a sans doute pas de bonnes nouvelles à vous apprendre. La guerre inverse le proverbe. Je ne vois pas qui est Jean. Le frère de Madeleine ? Ils ne sont pas dans la formule finale, mais la place manque. Ça ne m’étonne pas du reste : les absents ont toujours tort. Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort tous les deux, ainsi que Geneviève et Louis et toute la famille. La signature n’est faute de place qu’un minuscule gribouillis illisible.

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