jeudi 24 avril 2014

de l’art de faire son aut(opromot)eur


Le principe de ce blog, comme tout blog d’écrivain, est de promouvoir l’œuvre de l’auteur du blog. Mais pour le faire habilement, il convient de faire aussi comme si on faisait la promotion du livre d’un autre auteur ; ça passe mieux. Il convient cependant choisir avec subtilité le livre que l’on va mettre en avant. Par exemple, si je cite Claro :
 
Réussir une rencontre en librairie
 
Quand tu sors un livre, tu sors aussi.
 
Tu peux rester chez toi, mais ne viens pas te plaindre.
 
Donc, quand ton livre sort, suis-le comme si tu étais son ombre. En plus, c’est le cas. On dit que tu l’accompagnes, à croire qu’il s’agit d’une vieille tante qui n’a pas le sens de l’orientation ou d’un conjoint célèbre qui n’a pas envie de s’ennuyer toute la soirée. On appelle ça aussi de la promotion, mais tu es écrivain, comme Balzac ou Rimbaud, et non VRP, comme qui tu sais, alors ton livre, hein, tu l’accompagnes – et surtout tu essaies de rentrer sans lui.
 
Claro, Cannibale lecteur, Inculte, 2014, p. 429
 
c’est évidemment une manière de vous rappeler que samedi et mardi prochains notamment, c’est bibi que vous aurez la possibilité de rencontrer en librairie, en compagnie de Rien ; regardez donc en haut à droite pour les détails pratiques. (On notera au passage comment l’habile auteur du blog joue de l’homonymie, puisque Rien est aussi le titre d’un livre qu’il n’a pas écrit ; il paraît en effet qu’Emmanuel Venet s’en est chargé récemment, j’aurai certainement l’occasion d’y revenir.)
 
« Il y a plusieurs façons d’accompagner son livre, qui ne s’excluent pas et qui même se complètent », nous dit Claro (ibidem) :
 
« 1/ En en lisant des extraits (et là tu regrettes un peu de n’avoir pas tout simplement écrit un livre composé d’extraits)… »
 
ce qui en effet n’est malheureusement pas le cas de Rien (d’une affaire de regard) mais je compte bien me rattraper une prochaine fois car en effet je regrette déjà
 
« … On appelle cet exercice une lecture, même si on est bien d’accord que la plupart du temps on dirait une dictée.
2/ En en parlant – on appelle ça une causerie (…) »
 
Attendez, il y a un passage qui m’inquiète un peu un peu plus loin. Ah, voilà :
 
« … Si ton livre ne se raconte pas, s’il est dépourvu d’intrigue et de rebondissements, organise plutôt un happening dans une galerie avec des musiciens qui couvriront tes paroles décousues par des loops à la guitare pendant qu’on projettera des photos d’amibes sur les murs en béton. »
 
Non, finalement ça va. Mon livre est plein d’intrigues et de rebondissements. Tout va bien : pas besoin d’amibes guitaristes.
 
« 3/ En attendant que le public te pose des questions. On appelle ça un échange – tu verras, quand ce sera fini, ce mot te fera beaucoup rire. (…) »
 
Bon, en même temps, c’est au cas où il y aurait un public, hein.
 
« 4/ En signant ton livre. On appelle ça une signature ou, plus classe, une séance de dédicace. (…) »
 
Oui, en tout cas, l’idée, c’est d’écrire encore une fois son nom dedans. Comme si sur la couverture ça ne suffisait pas. Revendiquer sa responsabilité dans cette affaire. Reconnaître ses torts. Avouer son crime.
Et ça c’est quelque chose qui ne va pas de soi pour moi. Le fait qu’il s’agisse d’une réédition bien sûr ne fait que me le souligner, mais au fond ça me fait à chaque fois cette impression. Je ne me sens pas auteur. Ou plutôt : je me sens juste un peu plus auteur que pour les livres que je n’ai pas écrits, mais pas beaucoup plus – car même pour les autres, j’ai des soupçons. Je ne me sens pas complètement innocent. J’ai une vague impression de faire partie d’un vaste truc qui commet des livres sous les identités les plus diverses – lesquels n’étant pas nécessairement bons, j’évite la plupart du temps d’en parler et surtout de les lire. C’est pour ça aussi que quand je les aime, j’en parle, même s’ils sont parus sous un autre nom. Car la personne derrière l’œuvre, celle qu’on fait passer pour l’auteur, j’en pense ce que je disais l’autre jour en préambule au livre d’Antoine Brea. Dommage qu’on ne puisse pas en faire l’économie.
(Et bien sûr, le Cannibale lecteur de Claro, pour ceux qui ne connaîtraient pas, outre quelques pages croustillantes dont j’ai tiré les extraits ci-dessus, c’est aussi un recueil d’articles lumineux notamment sur Lutz Bassmann, Hélène Bessette, Michel Butor, Raymond Federman, Reinhard Jirgl, B.S. Johnson, Gabriel Josipovici, Emmanuelle Pireyre… j’avoue que je n’ai pas encore tout lu.)

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