L’homme
est ainsi fait qu’il passe son temps à inventer des choses qui ne lui
servent strictement à rien. Disons plutôt qu’il ne
se contente pas de se conformer à l’axiome un peu plan-plan
reproduction + survie, autrement dit besogner maman et se bâfrer comme
un goinfre. Ce serait à la longue un peu limité. L’homme n’est
pas un animal. Raie de côté, collection de sous-bocks, travers de
porc braisé au romarin et sa fricassée de petits légumes, césure à
l’hémistiche, balles dum-dum, stradivarius et bain moussant,
l’homme passe son temps à inventer des choses qui ne lui servent
strictement à rien. Voilà, pourquoi, entre autres, l’homme, qui n’est
pas un animal, n’est pas un animal.
Mais
l’homme, qui n’est pas un animal, est pourtant capable – c’est trop
bête ! – de se laisser mourir d’ennui dans un
bureau huit heures par jour, cinq jours par semaine pendant
quarante-deux ans aux seules fins de se payer une Mégane qui le conduira
au bureau. Comme on le voit, pas toujours très malin. Mais
c’est ainsi. Corriger le tir ou se donner du courage, amuser la
galerie et se laver à l’eau chaude. L’homme n’est pas un animal. A la
longue, pourtant, l’inutile finit par lui devenir
indispensable. C’est le début de la résistance. En même temps que de
l’aliénation.
Dans
le catalogue des actions étrangères à l’axiome reproduction + survie,
figure l’art de s’agiter tout seul dans son coin ou
en bande organisée, pour pas grand-chose, et disons même pour trois
fois rien. Par exemple, aller nulle part et en revenir, mais en se
dépêchant, ou, pour le dire autrement, transpirer en faisant
du surplace. Courir, en somme. Comme Zatopek.
Le
fait est qu’un beau jour, un type, au fond des âges, « quand le temps
n’avait pas encore de barbe » (Lichtenberg),
un type donc se met à courir. Et à courir pour rien. Point de
message urgent à remettre en main propre, aucune bestiole furibarde à
mâchoire-cisaille lancée à ses trousses.
Il
n’a pas même l’air d’être en retard vu que, de toute façon, en ces
temps reculés, personne ne paraît très pressé d’inventer
le rendez-vous. Non, un type un jour se met à courir, pour rien,
tout seul comme un grand ; et il trouve ça absolument extraordinaire.
Jean-Michel Espitallier, L’invention de la course à pied (et autres trucs), Al
dante, 2013, p. 3 à 5.
Couvrez-vous bien quand même avant de vous lancer car il y a quand même un léger risque de froid dans le dos au bout de la
course.
Commentaires
Certains félins et peut-être d'autres animaux jouent les prédateurs
au-delà de leurs besoins. Alors, même si votre texte qui rhabille
l'humain, idée à laquelle j'adhère, est très intéressant, ne
sommes nous pas des animaux ?
Commentaire n°1
posté par
Sabine
le 16/12/2013 à 19h37
Ah mais moi je me sens en effet très animal (d'ailleurs ce texte,
qui n'est pas de moi, joue aussi de la prétention de l'homme à n'être
pas un animal).
Réponse de
PhA
le 16/12/2013 à 21h03