jeudi 5 décembre 2013

La Botanique parallèle de Leo Lionni


Je viens de terminer la lecture d’un livre tout à fait étonnant. Ce n’est pas un roman, ni même un récit ; ce n’est pas de la poésie ni du théâtre ; ce n’est pas non plus un essai. Non : c’est de la botanique parallèle. Ce qui signifie que ce n’est pas non plus de la botanique – car il m’arrive aussi, je le confesse, de lire de la botanique. Quand la littérature me gonfle ou me déprime, c’est comme une respiration, je lis de la botanique. Ou de la zoologie. Ou de la mycologie. Aucun règne ne m’arrête. Mais là, ce n’est donc pas non plus à proprement parler de la botanique : c’est de la botanique parallèle. D’ailleurs c’est écrit dessus, en lettres d’un magnifique vieil argent : LA BOTANIQUE PARALLELE.
Le titre n’est pas mensonger ; car tel est, en effet, le sujet de ce beau livre (on pourrait aussi, pourquoi pas, être tenté de le classer dans la catégorie des « beaux livres », de ceux qu’on offre pour les fêtes, tant en effet il est beau, et illustré qui plus est). Le titre n’est pas mensonger, et le contenu en effet joue essentiellement de son rapport à la réalité, cette chose que l’homme à toute force prétend saisir, au point d’avoir développé des membres aux capacités préhensiles d’une extrême finesse, et même le cerveau qui va avec, histoire de mieux sentir combien elle lui échappe, cette réalité. A preuve : cette botanique parallèle.
Car il existe – ou plutôt il pourrait exister –, nous dit Leo Lionni, tout un règne inaperçu, ou entraperçu du coin de l’œil au fil des siècles. Leo Lionni, donc. Le texte est de Leo Lionni. Les illustrations, superbes, sont de Leo Lionni. Je vous le dis parce que je l’ai lu. Car Leo Lionni fait tout pour nous le faire oublier, pour se faire oublier. Son objet est bien trop vaste. Un règne, donc, disais-je : celui des plantes parallèles. Ces plantes qui n’en sont pas, qui n’en sont plus, qui n’existent pas mais dont pourtant on nous présente les traces, les caractéristiques, les circonstances de leurs découvertes, les légendes qui s’y rattachent. « Qui n’existent pas » n’est sans doute pas bien dire, car elles existent plutôt dans un temps arrêté, constituent un règne par leur caractère organique et en même temps relèvent du non-vivant sans pour autant être mortes.
Le livre lui-même se présente comme une somme, l’état des connaissances en matière de botanique parallèle à l’époque de sa première publication dans les années 70. Les plantes y sont minutieusement décrite, nommées – les noms vernaculaires, tirelles, solées, tournelunes ou pinces des bois, y côtoient les appellations scientifiques linnéennes, Tirillus maculatus, Sigurya barbulata, Taluma labirintiana et autres Camporana erecta, car comme le disait un conseiller en horticulture de ma connaissance, sans le latin il n’est pas possible de savoir de quoi l’on parle. La dimension narrative cependant n’est pas absente de la Botanique parallèle, car chaque découverte est une aventure, parfois tragique, toujours troublante par ce qu’elle révèle. Comme par ailleurs l’homme a toujours côtoyé les plantes parallèles qui peut-être n’attendaient que lui pour accéder à un degré supérieur de matérialité, il est bon de se plonger dans telle légende wombasa, en Afrique, où il est manifestement question de la tournelune, ou de lire la fable, bien connue au Tarzistan puisqu’elle a pour cadre le village de Zibersk, du Tchavo aux feuilles d’argent, qui n’est autre, à n’en pas douter, selon les dernières découvertes, qu’une solée, l’un des cas les plus troublants de plantes parallèles. Cette fable nous est d’ailleurs rapporté par Leo Lionni, le célèbre auteur de livres pour enfants qui, nous dit une note, « n’a rien à voir avec l’auteur de ce livre ».
 

 
La fameuse Sigurya barbulata, dessinée par Leo Lionni.
 
 La Botanique parallèle, de Leo Lionni, vient donc de reparaître à l’initiative des toutes jeunes éditions des Grands Champs.

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