D’un
certain point de vue la congélation est un pari déjà perdu sur les
forces en présence et sur l’odeur des immensités. Ce qui
ne nous empêche en rien de congeler à un rythme effréné, car la
congélation habite bientôt chaque geste de son acteur, refus incarné de
la résignation. On prend vite l’habitude, par exemple
lorsqu’on fait un tour dehors le soir, de congeler complètement de
travers toute chose rencontrée sur le chemin du retour. L’apparence
dépeignée et gonflée de sommeil de l’objet qu’on capture en
pleine nuit ou au petit matin est si semblable à la congélation et
cependant si différente qu’on ne peut s’empêcher de partir d’un agréable
rire au beau milieu de la chaussée, entre les magasins
vides aux vitrines éclairées. Or on oublie souvent qu’une chose
congelée est une éventualité supplémentaire de chose décongelée. Oh, mes
pauvres amis, comme la congélation est désespérément
contraire à son contraire, comme chaque avancée d’espoir est la
promesse d’un cruel désespoir. Et tout ce qu’on risque d’obtenir à la
longue est un monde puant de tissus meurtris par la vigueur
du froid. Comme si les choses n’allaient déjà pas assez mal. A
l’inverse de ce qu’on pourrait croire, le congeleur ne doit donc pas
rechigner à s’enivrer. La perte de mémoire accompagnée
d’inconséquence insouciante dans l’action sont pour lui les
meilleurs moyens de rester enthousiaste et assidu à la tâche.
Emmanuelle Pireyre, Congélations et décongélations et autres traitements appliqués
aux circonstances, Maurice Nadeau, 2000, p. 45.
Quand on a vraiment aimé les livres les plus récents d’un auteur par soi tardivement découvert, on ne court pas grand risque à se plonger dans les premiers.
Alors ceci n'avait pas dû t'échapper non plus.