On n’est pas à une contradiction près. Hier, entre diverses rencontres bien intéressantes, j’ai profité de ce que j’étais en
librairie pour ouvrir quelques livres que je ne lirai pas, pour savoir pourquoi je ne les lirai pas. Pour me faire mon opinion, quoi. La mienne à moi. Il y en avait un qui commençait comme
ça :
« J’allais naître. Pour moi, l’enjeu était de taille. Si c’était à refaire, je naîtrais beaucoup moins – on naît toujours
trop.
– Il surnaît ! s’était indigné mon père à ma sortie des viscères maternels.
On devrait arriver en silence, faire son entrée sur la pointe des pieds. Se faire oublier d’avance. On n’est jamais si
prétentieux qu’en naissant. Il n’y a pourtant pas de quoi […] »
Et puis là, je me suis arrêté, mon opinion faite. Pour ce qu’elle vaut, comme je disais avant-hier, je ne vais pas lui consacrer
plus de temps.
Que
s’est-il passé dans mon esprit pendant que je lisais ces lignes ? Bien
sûr, dès le départ, j’avais un a priori très
négatif sur l’auteur ; sans évidemment l’avoir lu car le meilleur
moyen d’avoir des a priori est encore de ne pas lire. Je crois quand
même que j’étais tombé il y a longtemps sur une
critique de la Littérature sans estomac de Pierre Jourde, ah oui ça doit faire plus de dix ans, je crois bien que c’était dans Elle ;
c’était très « C’est toi qui l’as
dit c’est toi qui l’es ». Une certaine fraîcheur, quoi. Rafraîchi en
effet, j’oublie l’auteur et voilà qu’il y a quelques semaines, je
n’étais pas couché et allumant la télé je tombe sur lui
qui parlait de son dernier roman. Il avait l’air heureux comme s’il
avait inventé la littérature, alors qu’en réalité c’est moi. (Je résume
pour faire plus simple, hein.) Du coup hier, soucieux
de laisser quand même une chance à cet auteur mal informé mais sans
doute sincère, j’entreprends de lire ses premières lignes. (En général,
les premières lignes, on les soigne. Ça n’est pas une
règle absolue, bien sûr – mais ça l’est quand on vise un prix
d’automne.)
Je
lis donc la première phrase. Ça va, elle est courte. Et puis, je me
dis, pourquoi pas. Je lis la deuxième, qui enfonce un peu
le clou, certes ; mais jusque là honnêtement, il n’y a rien
d’irrémédiable. Honnêtement, je pourrais lire un livre qui commence par
ces deux phrases. Bien sûr l’épaisseur de celui-ci n’est
pas un argument très favorable, mais enfin. Il y a des avis très
élogieux, sur ce livre. Cherchez, vous trouverez. A en lire certains, il
s’agit ni plus ni moins que d’un miracle.
Je
lis donc la troisième phrase (« Si c’était… »). Là, malaise. Je suis
gêné pour lui. Il fait de l’esprit. Il essaie.
Je suis tellement gêné que ça me le rend sympathique, d’un coup. Je
n’ai plus aucun a priori. Je lui prendrais bien la main, gentiment, pour
lui faire comprendre, avec délicatesse, que cette
phrase n’est peut-être pas nécessaire. Pourquoi tant de tendresse ?
C’est que, je m’en rends compte d’un coup, c’est tout à fait le genre de
celles qui émaillaient mes propres romans, quand
j’avais quinze ou seize ans, cet âge où en effet on ne doute de
rien.
Cela
dit ce n’est jamais qu’une phrase. Des repentirs sur une phrase, quel
écrivain n’en a pas. Lisons la suivante. Oh ! un
néologisme. J’aime bien les néologismes. Bien sûr il faut que ce
soit bien trouvé. « Il surnaît. » J’ai des doutes. Mais bon, ce n’est
pas de sa faute : c’est le père du narrateur
qui parle. Et puis comme ça l’auteur est en train de nous construire
un champ lexical de l’excès, on avait déjà « de taille », « beaucoup »
et « trop », c’est
l’occasion de nous le faire comprendre au cas où la chose nous
aurait échappé : comme on le chantait jadis de Stéphane Collaro, ce mec
est trop. C’est pourquoi aussi son bouquin est trop
gros : tout se tient.
Mais je vais quand même lui laisser encore une chance : après tout il sait accorder « viscères ». Allez, encore
une ligne, une autre, une autre encore… Bon. Ça ira comme ça. Je me suis fait mon opinion à moi qu’elle m’est propre.
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