Je viens seulement de voir que Jérôme Garcin avait fait paraître chez Gallimard un roman intitulé Bleus horizons autour
de la figure de Jean de la Ville de Mirmont et je me souviens qu’on croisait déjà ce poète dans un autre Bleu horizon mais au singulier celui-là même si les destins
brisés d’écrivains s’y écrivaient au pluriel. C’était dans le beau livre de Danielle Auby,
Bleu horizon donc et paru chez Flammarion
il y a juste vingt ans ; j’ai même écrit quelques mots dessus avant
l’ouverture de ce blog ; il en aurait mérité
davantage :
Dire la vie de ceux qui n’ont pas vécu
La littérature n’est jamais si belle que lorsqu’elle reconnaît d’avance l’impossible et l’admet, et qu’elle se fait quand même
avec et contre lui. Impossible de dire la vie de ceux qui n’ont pas vécu. C’est pourtant ce qu’entreprend de faire Bleu horizon
: redire avec les mots de l’imagination (pas ceux de la
fiction) la vie possible et arrêtée – arrêtée par la guerre qu’on
appela « grande » – d’une cinquantaine d’hommes (parmi 560) qui pour la
plupart n’avaient en commun que l’ambition
d’écrire et auxquels une forêt du Languedoc plantée en 1931 a voulu
rendre hommage. En commun, l’Histoire leur donna l’uniforme « d’un bleu
délavé qu’on appelle horizon » (je cite de
mémoire) et cette fin de fer et de boue ; si bien qu’au bout du
compte, dans les mémoires s’appauvrissant, dans les hommages gauches ou
gauchis ils finissent par tous se ressembler, quasi
indistincts les uns des autres, comme sur la photo de couverture.
Impossible si longtemps après de dire vraiment qui ils furent, eux qui
ont cessé d’être même lorsque, privés de l’usage de leurs
jambes, ils ont officiellement survécu. La force du livre, c’est de
redonner vie à des instantanés singuliers : un enfant étreignant un
lilas et s’en barbouillant la figure, un autre en
contemplation d’un plancher de verre que des années plus tard il ne
quittera plus, un jeune cavalier élégant entraînant son cheval aux
cercles parfaits dans la neige, auxquels viennent se
superposer les personnages de leurs livres aussi interrompus, dans
l’attente de ce qui ne viendra pas.
Mai 2007.
Commentaires
Dans le même esprit j'ai lu les"poèmes de Büchenwald", recueillis
par André Verdet, et publiés par Gallimard. Lui aussi avait recueilli et
réussi à sauver des poèmes dont les auteurs sont morts
là-bas.
Commentaire n°1
posté par
Lza
le 30/10/2013 à 09h13
Là ce sont des moments de vie, comme pris sur le vif. Et comme ma
lecture n'est pas récente ça devient des souvenirs : maintenant je me
souviens d'eux. C'est ce qu'il fallait.
Réponse de
PhA
le 31/10/2013 à 17h44