lundi 16 septembre 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 36

La visite suivante de Messerschmied chez Brunnen se passa comme dans un rêve. Ou plutôt, elle se passa comme dans un conte de fées. Un conte de fées très connu, d’ailleurs : Dornröschen. Messerschmied entra dans le bâtiment, où il régnait un calme inhabituel. Il ne put pas prendre l’ascenseur, sans doute parce qu’il n’y a pas d’ascenseurs dans les contes de fées. Il fit donc son ascension par les escaliers, et son inquiétude montait les étages avec lui : angoisse, anxiété, panique, terreur… Enfin, au terme de cette ascension qui lui parut interminable, il parvint au bureau de Monsieur Witz. C’est là que Messerschmied se trouva dans l’incapacité de comprendre qu’il n’était pas le prince des contes : il tomba lui aussi, comme tous les employés de Brunnen, dans un profond sommeil.

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dimanche 15 septembre 2024

Abécédaire du dimanche (armé presque jusqu’aux dents)

Arsenal : bouclier, carquois d’excellentes flèches, glaive, hallebardes incendiaires, jambières, kalachnikov, lance-grenades, mitrailleuses, nautilus, obus perforants, quarante revolvers, soixante-trois uzi, vingt winchester. Xiphoïde yatagan ? Zéro.


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samedi 14 septembre 2024

Souvenirs de mon père, 5

Si tu es arrivé là (à Arras, chez ta grand-mère paternelle), c’est qu’avec ta mère, tu vivais une vie de patachon (tu souris à ce souvenir). Le soir, elle t’emmenait au cinéma, au théâtre. A cinq ans, tu avais vu Cyrano, L’Aiglon. Tu avais trouvé ça passionnant !

Le jour de ton arrivée à Arras, Milou avait des petits sujets en chocolat, qui représentaient les animaux de la ferme. C’était joli, à tes yeux d’enfant. Les pattes étaient faites en allumettes recouvertes de chocolat. Elle te les a tout de suite montrés, elle a voulu t’en donner. Grand-Mère le lui a interdit. « On te les a donnés à toi, ils sont à toi ! Tu ne dois pas en donner à ton frère ! »

Ensuite ta sœur t’en a donné en cachette.

Quand elle parlait de toi à Tata (ta tante, qui vivait avec sa mère), Grand-Mère disait « Ton sale morpion ». Tu ne savais pas ce qu’était un morpion mais tu étais ulcéré de l’insulte devinée. (Tit Mé (ta grand-mère maternelle), elle, t’appelait son « Jésus ». Plus tard tu as cherché dans le dictionnaire la définition du mot « morpion ». Et tu l’aimais quand même. Il est probable que, à travers toi, c’était ta mère qu’elle visait. Grand-Mère détestait sa belle-fille. Pourtant c’était elle qui était allée la chercher pour la marier avec son fils.

Grand-Mère était une femme très active, très organisée. Elle était capable de beaucoup de mépris, mais elle n’hésitait pas à aller astiquer le parquet avec la bonne.

jeudi 12 septembre 2024

court toujours (276)

– La bêtise, qu’est-ce que c’est, au fond ?

N’attendre d’autrui que des propos intelligents, par exemple. Ou l’inverse.




mercredi 11 septembre 2024

Stach – Kafka : fin

Voilà : j’ai fini la lecture du troisième tome de la biographie de Kafka par Reiner Stach, qui est aussi la première, puisqu’elle correspond aux années de jeunesse. Elle s’arrête en 1911, et je suis bien content qu’il reste encore à Kafka quelques années à vivre ; la fin du tome II était vraiment dure. Je préfère garder l’image de Franz face à l’emplacement vide de la Joconde – Max et lui étaient à Paris au mois d’août – à regarder tous ces visiteurs du Louvre arrêtés face à un mur vide, d’où la Joconde a disparu, volée peut-être par Picasso, qui sait, histoire de faire vraiment de ce tableau davantage que ce qu’il n’est.

J’aurais pu faire la même chose avec bien d’autres passages de ce tome comme des deux précédents-suivants : il y a dans cette biographie de Kafka la tentation d’un autre auteur, Reiner Stach, de souligner quelque chose que j’écrivais aussi dans les Singes rouges : chaque page d’un livre est en même temps la page d’un autre livre.


mardi 10 septembre 2024

un enfant spirituel, encore que pauvre et empoté, de cet écrivain

C’était un livre (l’Éducation sentimentale de Flaubert), avoua plus tard Kafka, « dont j’ai été proche pendant bien des années comme de peut-être deux ou trois personnes ; chaque fois que je l’ai ouvert, peu importe où et quand, il m’a réveillé en sursaut et saisi tout entier, et je me suis toujours senti un enfant spirituel, encore que pauvre et empoté, de cet écrivain. »


C’est dans une lettre à Felice Bauer, citée par Reiner Stach dans Kafka tome 3, les années de jeunesse. Je continue ma lecture pour savoir comment faire quand on se sent l’enfant encore plus pauvre et plus empoté non seulement de l’auteur de l’Éducation sentimentale mais aussi de celui de Description d’un combat – seul texte que Kafka ait à peu près achevé à la page 532 de ce tome 3 de sa biographie, et qui se trouve aussi – par un hasard que j’aime – le premier récit de Kafka qu’un tout jeune lycéen a découvert, alors qu’il était encore en pleine Croissance. (La lecture de Kafka et celle de Flaubert m’ont été personnellement recommandées par mon cher professeur de français de 1ère, Danielle Auby.)



lundi 9 septembre 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 35

On revit Messerschmied. Était-ce chez Brunnen ? Messerschmied pensait bien être chez Brunnen, ou tout du moins Messerschmied pensait bien s’être rendu chez Brunnen. Mais il n’y voyait rien. On n’y voyait rien. Messerschmied n’était plus sûr de rien. Était-ce bien Messerschmied, que l’on revit, peut-être chez Brunnen, en train de déchirer, dans sa rage de ne plus savoir où il était, en train de déchirer une liasse de papier dont nul n’aurait pu certifier qu’il s’agît bien du contrat, de quel contrat, d’ailleurs, comment savoir si c’était bien le contrat en question ?

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dimanche 8 septembre 2024

Abécédaire du dimanche (commissionnaire)

Acheter : biscottes, cacao, deux éclairs. Fruits : goyaves haïtiennes, icaques, jujubes, kiwis. Légumes : manioc, navets, oignons, panais. Quatre rognons. Six truites. Un vin (Wolfberger). Ximénia, yuzu (zest).


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samedi 7 septembre 2024

Souvenirs de mon père, 4

A Arras, on t’a mis un petit lit à côté du lit de Tata. Milou, elle, avait le sien à côté de celui de Grand-mère. Les chambres étaient au premier étage. Je m’étonne. La maison était très grande. Combien au juste pouvait-il y avoir de pièces ?

En effet, la maison d’Arras comportait un grand salon, un petit salon, une grande salle à manger, une petite salle à manger, une grande cuisine avec arrière-cuisine, une salle de lessivage, un jardin avec poulailler, une petite cour avec toilettes dans la cour. Au premier étage, il y avait trois chambres dont deux avec cabinet de toilette, une grande grande salle de bain, des WC, de grands placards. Au deuxième, il y avait quatre chambres dont deux avec cabinets de toilettes, des WC, deux grands placards. Au dessus, il y avait un grenier qui faisait toute la surface de la maison avec deux chambres dites « de bonnes ». Le toit du grenier était en partie vitré. En dessous de la partie vitrée, il y avait un grand carré entouré d’une balustrade avec des ferrures soutenant des grandes plaques de verre très épais, dit « verre cathédrale ». A chaque étage, il y avait un couloir circulaire qui encadrait un grand vide laissant passer la lumière du jour venant du grenier. Le hall était ainsi très bien éclairé. Il y avait une cave qui faisait toute la surface de la maison avec deux entrées différentes, plus une donnant directement dans la rue pour le passage des charbonniers. En plus, il existait une seconde cave en dessous de la première, accessible par un escalier. On appelait ce type de cave dans le nord une bove. La bove était plus petite que la cave mais il y avait une grande ouverture fermée par une grille. Derrière apparaissait un mur plus récent qui bouchait, paraît-il, un souterrain qui menait dans le sous-sol du beffroi de l’hôtel de ville.

Sans doute préféraient-elles que vous dormiez à côté d’elles.

mercredi 4 septembre 2024

Hemlock de Wittkop

J’ai aussi profité de l’été pour lire l’énorme, le monstrueux, le magnifique Hemlock de Gabrielle Wittkop, dont je n’avais encore jamais rien lu jusqu’à présent. J’avais l’impression de tenir dans les mains un chef-d’œuvre de l’art baroque, mais complètement contemporain.

Désirer la mort de celui qu’on aime parce que sa vie, à lui, n’est plus une vie, la désirer parce que c’est le seul moyen de continuer soi-même à vivre, et savoir à quel point on souffrira de cette perte irrémédiable et désirée, c’est ce que vit Hemlock, une femme de notre temps, qui est le protagoniste du roman éponyme, sans en être du tout le personnage principal. Car elles sont trois, trois à n’avoir pas seulement désiré la mort, mais à l’avoir donné, trois, l’amour en moins. Trois femmes dont les destins (vraiment) tragiques sont évoqués successivement, dans un ordre qui n’est pas seulement chronologique. La première est une célébrité : Béatrice Cenci – qui m’a notamment donné envie de relire les Cenci, ma lecture des Chroniques italiennes de Stendhal commence vraiment à dater. C’est comme un roman dans le roman, qu’enclenche la présence d’un tableau qui traverse tout le livre, Judith et Holopherne, comme de juste, devant lequel passe Hemlock puis, quatre siècles plus tôt, la petite Beatrice Cenci, au début de sa courte vie. Le même tableau, d’autres motifs récurrents pavent le chemin qui nous amène en France un siècle plus tard. J’avoue m’être tant attaché au sort tragique de Beatrice – évoqué sur plus de deux cents pages, je crois bien ; j’ai craint que la suite ne puisse tenir la note. Mais la Marie-Madeleine d’Aubray, future Marquise de Brinvilliers, dépeinte par Gabrielle Wittkop est tout simplement fascinante. Deux-cents pages encore, proprement hypnotiques, d’une extrême précision encore dans la documentation, où l’on suit cette femme que rien n’arrête – un gros vase quand elle est enfant, jusqu’au pire – écrites comme un poème, avec de multiples échos, aussi bien à l’intérieur de l’histoire de la Brinvilliers qu’avec Hemlock et ses souvenirs, laquelle revient régulièrement, avec des échos aussi aux deux autres : Beatrice Cenci et Mrs Fulham, dont le destin termine le livre dans une concurrence étonnante entre l’atroce et le dérisoire.

Un gros livre, sans doute (plus de six cents pages), mais surtout un grand livre, que Quidam éditeur a ressorti cette année dans sa collection de poche Les Nomades.





lundi 2 septembre 2024

Le Contrat, par Franz Franquin et André Kafka, épisode 34

La dernière fois qu’on aperçut Messerschmied chez Brunnen cette saison-là, il mangeait tranquillement des frites. Le papier qui servait de cornet était imprimé. Cela contraria Messerschmied.

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dimanche 1 septembre 2024

Abécédaire du dimanche (mixologique)

Au bar, cocktails divers : eau ferrugineuse, gin highball, iceberg juice, kir loyal, malibu night, orgasm paradise, quick raspberry sea, tequila ultime, vieux whisky xérès, yellow zombie.


(Abécédaires alphabébêtique, abécédarophile, conversationnel, présidentiel, onomatopéique, faunophonique, proverbial, bibliomaniaque, aquoiboniste, meurtrier, touristique, culinaire, guerrier, floral, zoologique.)