J’ai aussi profité de l’été pour lire l’énorme, le monstrueux, le magnifique Hemlock de Gabrielle Wittkop, dont je n’avais encore jamais rien lu jusqu’à présent. J’avais l’impression de tenir dans les mains un chef-d’œuvre de l’art baroque, mais complètement contemporain.
Désirer la mort de celui qu’on aime parce que sa vie, à lui, n’est plus une vie, la désirer parce que c’est le seul moyen de continuer soi-même à vivre, et savoir à quel point on souffrira de cette perte irrémédiable et désirée, c’est ce que vit Hemlock, une femme de notre temps, qui est le protagoniste du roman éponyme, sans en être du tout le personnage principal. Car elles sont trois, trois à n’avoir pas seulement désiré la mort, mais à l’avoir donné, trois, l’amour en moins. Trois femmes dont les destins (vraiment) tragiques sont évoqués successivement, dans un ordre qui n’est pas seulement chronologique. La première est une célébrité : Béatrice Cenci – qui m’a notamment donné envie de relire les Cenci, ma lecture des Chroniques italiennes de Stendhal commence vraiment à dater. C’est comme un roman dans le roman, qu’enclenche la présence d’un tableau qui traverse tout le livre, Judith et Holopherne, comme de juste, devant lequel passe Hemlock puis, quatre siècles plus tôt, la petite Beatrice Cenci, au début de sa courte vie. Le même tableau, d’autres motifs récurrents pavent le chemin qui nous amène en France un siècle plus tard. J’avoue m’être tant attaché au sort tragique de Beatrice – évoqué sur plus de deux cents pages, je crois bien ; j’ai craint que la suite ne puisse tenir la note. Mais la Marie-Madeleine d’Aubray, future Marquise de Brinvilliers, dépeinte par Gabrielle Wittkop est tout simplement fascinante. Deux-cents pages encore, proprement hypnotiques, d’une extrême précision encore dans la documentation, où l’on suit cette femme que rien n’arrête – un gros vase quand elle est enfant, jusqu’au pire – écrites comme un poème, avec de multiples échos, aussi bien à l’intérieur de l’histoire de la Brinvilliers qu’avec Hemlock et ses souvenirs, laquelle revient régulièrement, avec des échos aussi aux deux autres : Beatrice Cenci et Mrs Fulham, dont le destin termine le livre dans une concurrence étonnante entre l’atroce et le dérisoire.
Un gros livre, sans doute (plus de six cents pages), mais surtout un grand livre, que Quidam éditeur a ressorti cette année dans sa collection de poche Les Nomades.
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