Mais tu saisis bien vite que ta
langue est rustre, courtaude, plus policée que celle qu’on parle dans le
quartier d’où tu viens cependant, mais qu’elle râpe les oreilles de tes
professeurs, de tes camarades, de leurs mères. Il faut écouter, imiter, t’imprégner.
Un vrai Espagnol, personne n’en a jamais côtoyé. Connaître une autre langue que
celle du sol a quelque chose d’étrange pour ces enfants. La langue espagnole
est ta conscience honteuse, l’ancre qui te tient attaché à l’en-bas. Tu la
revendiques et tu la hais à la fois. Libido, ambition sociale, et la haine, la
haine de soi. Un désert.
Apprendre, apprendre leur langue
à eux. Chez eux, la langue possède le cul, le domine. Chez toi, c’est inverse.
Apprendre, apprendre cette langue qui ouvre le cul des bourgeoises comme un
sésame. Tu ne la connaîtras jamais assez, tu ne la maîtriseras jamais
totalement. Les mots s’échapperont que tu remplaceras avantageusement,
crois-tu, par d’autres, extraits du glossaire qui a cours dans ton quartier.
Alexandre Civico, La
terre sous les ongles, Rivages, 2015, p. 46-47.
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