J’ai relu Goldberg :
Variations, de Gabriel Josipovici. Je l’avais déjà lu tout récemment, et
j’ai bien d’autres livres à lire, mais il fallait que je le relise. La première
fois, je ne l’avais pas lu dans de bonnes conditions. Mais lit-on jamais dans
de bonnes conditions ? Comment les conditions pourraient-elles vraiment
être bonnes ? Les conditions extérieures, bien sûr, on peut essayer de les
améliorer. Mais on sait bien que la lecture est surtout tributaire de
conditions intérieures au lecteur, à propos desquelles celui-ci ne peut à peu
près rien. Bref. J’avais besoin d’un prétexte pour le relire, je l’ai relu.
Comme je m’y attendais, ce n’est
pas exactement le même livre, que j’ai lu. Ballantyne, par exemple, pour
prendre un exemple, plutôt, vous savez, l’ami de Westfield, eh bien il y jouait
cette fois-ci un rôle plus effacé. Je vous dis cela pour le seul plaisir de
vous le dire, car ça n’a aucun sens, pour vous. Ça n’a de sens que pour celui
qui a fait cette première lecture Goldberg : Variations, une
lecture singulière qui malgré les mauvaises conditions mériteraient un nom
propre, puis cette autre lecture également singulière, dans d’autres conditions
que j’ai souhaitées meilleures et qui sans doute l’ont été, jusqu’à un certain
point. Jusqu’à un certain point que j’ai du mal à dépasser et que je pourrais
appeler l’oubli d’un autre moi-même, qui quand il lit ne cesse d’écrire encore.
Vous voyez ? Oui, là, vous voyez ; ça ne fait pas l’ombre d’un doute.
Une deuxième lecture, donc. Avec,
tiens, c’est tout à fait anecdotique car après tout Ballantyne n’est qu’un
personnage secondaire parmi beaucoup d’autres, un relatif effacement de sa
présence par rapport à la première lecture. J’aurais sans doute pu trouver une
autre différence entre ces deux lectures, elles sont pléthore, mais c’est la
première qui, curieusement, m’a traversé l’esprit. (Il faudrait quand même
demander à des personnes qui viendraient juste de terminer leur deuxième
lecture de Goldberg : Variations si elles ont remarqué elles aussi
un relatif effacement de Ballantyne dans cette deuxième. Après tout il y a
peut-être quelque chose dans le texte même qui induit cet effacement progressif
de Ballantyne. Après tout Westfield et Ballantyne n’ont plus grand-chose à se
dire.)
En relisant Goldberg :
Variations, j’ai eu plus nettement encore l’impression par moment de lire à
travers les pages. Je crois que je l’avais déjà la première fois, mais cette
fois c’était plus net encore. Mais dire cela n’a aucun intérêt : Goldberg :
Variations est écrit pour qu’on lise à travers les pages. Qu’on lise ce
qu’on est en train de lire en même temps qu’on relit ce qu’on a déjà lu
quelques pages auparavant. Et ce qu’on lira quelques pages plus loin et qu’on a
déjà lu dans une précédente lecture.
Je me demande si Gabriel
Josipovici n’a pas glissé l’idée subliminale (car littéralement je ne l’ai pas
trouvée mais ça ne veut rien dire) l’idée subliminale de trente lectures
successives. Trente variations de lecture.
En relisant Goldberg :
Variations j’ai eu envie de choisir un autre extrait pour vous. Ou plutôt
de laisser un extrait s’imposer. Celui-ci est à la page 269, c’est le
Wander-Artist de Paul Klee qui naturellement à ce moment-là n’est plus
seulement le Wander-Artist de Paul Klee qui parle. Ça n’a rien à voir avec les
propos décousus que j’ai tenus plus haut. Ou peut-être que si :
« Le monde ? Quel monde ?
Le monde que vous pensiez connaître se gauchit à mon passage et se reforme de
manière inattendue. Ce n’est pas le monde que vous connaissiez, mais pas plus
d’ailleurs que l’est le monde autour de vous. S’il avait pu être ainsi alors il
n’aurait pas eu besoin d’être celui-là, mais il fallait bien qu’il soit d’une
manière ou l’autre.
Vous n’écoutez pas ce que je dis.
Vous êtes trop occupés à m’observer passer de l’autre côté, un bras levé pour
saluer. Et c’est ainsi que cela doit être, car ce que je dis n’a pas de
signification, on ne peut même pas dire que je le dis, seulement que je forme
les mots des autres avec ma bouche, et ce que vous avez entendu, vous ne l’avez
pas vraiment entendu, ce que vous avez vu, vous ne l’avez pas vraiment vu. Et
pourtant me voici, en route, bras levé pour saluer, et puis je ne suis plus. »
Voilà. Mais peut-être ne
savez-vous pas vraiment quel est ce livre, Goldberg : Variations,
que je viens de relire. Peut-être venez-vous juste de tomber sur ce blog et
aimeriez en savoir plus. Si vous cliquez ici, vous tomberez sur tous les
billets de ce blog consacrés à Gabriel Josipovici. Mais vous pouvez aussi avoir
envie de lire l’avis d’un libraire, et dans ce cas allez donc faire un tour
chez Charybde ou chez Ptyx. Et pendant que vous y êtes lisez aussi ce qu’en dit
Jacques Josse sur Remue.net et Christophe Kantcheff si vous êtes abonné à
Politis. Entre autres. Allez, bonnes lectures.
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