Sa chambre était plongée dans
l’obscurité quand je revins, mais il m’appela de son lit et, quand je lui eus
répondu, il me pria de m’asseoir et de commencer dès que je serais prêt. Je
m’installai dans le fauteuil, j’ajustai la lampe et je commençai. Mais après
quelque temps, il m’appela de nouveau et me demanda d’entrer dans la chambre.
La lumière de la lampe me permettait de discerner le grand lit à baldaquin où,
je le supposais, il était couché. Je restai près de la porte, mais sa voix,
venant de la profondeur de son lit, me demanda de m’approcher et de m’asseoir à
son chevet. Lorsque je l’eus fait, il resta si longtemps silencieux que je
pensai que ma seule présence ici, près de lui, avait suffi à produire ce que
tout le talent de mon élocution n’était jusque-là pas parvenu à faire, mais il
finit par parler, tout doucement, et me posa des questions sur toi et les
enfants. Je répondis à toutes ses questions aussi simplement et clairement
qu’il m’était possible. Il me demanda ensuite si j’avais moi-même écrit quelque
chose que je pourrais lire au lieu des livres que j’avais apportés. Je lui
répondis que j’avais beaucoup de choses, mais rien avec moi. Je me demandai
s’il allait proposer d’envoyer un domestique les chercher le lendemain, mais il
resta étendu quelque temps en silence et me demanda ensuite si j’étais prêt à
écrire quelque chose spécialement pour lui que je pourrais lui lire, soir après
soir.
— À quel genre de choses
pensez-vous ? lui demandai-je.
Il se mit alors à rire et me dit
qu’il n’était pas lui-même écrivain et qu’il préférait me laisser ce genre de
décision. Je compris alors la raison du bureau sous la fenêtre, des différents types
de papier et de plumes qui y avaient été posés. Je lui dis que j’essayerais.
— Je ne veux rien d’autre qu’une
nouvelle composition de votre main, dit-il.
Il retomba dans le silence et je
me demandai ce que je devais faire. Désirait-il que je retourne dans l’autre
pièce pour reprendre ma lecture, ou bien que je m’en aille complètement, ou
encore que je reste là au cas où il aurait d’autres questions auxquelles il
aurait voulu que je réponde. Je m’interrogeais sur ces diverses possibilités
lorsqu’il dit :
— J’ai lu tous les livres qui ont
été écrits, Mr Goldberg, et cela me rend mélancolique. Un profond ennui s’empare
de moi chaque fois que j’ouvre une fois de plus un de ces volumes ou même quand
une autre voix m’en livre le contenu.
— Mais un nouveau livre ne
va-t-il pas par trop éveiller votre intérêt ? lui demandai-je, n’aurait-il
pas pour effet de vous tenir éveillé au lieu de l’effet désiré qui est de vous
endormir ?
— Mon ami, me dit-il, vous parlez
sans réfléchir. Une nouvelle histoire, une histoire qui est vraiment nouvelle
et vraiment une histoire, donnera l’impression à la personne qui la lit ou
l’écoute que le monde a repris vie pour lui. Voici comment je pourrais le dire
: le monde recommencera à respirer pour elle alors qu’auparavant il avait paru
être fait de glace ou de roche. Et ce n’est que dans les bras de ce qui respire
que nous pouvons nous endormir, car ce n’est qu’alors que nous pouvons être
certains que nous nous réveillerons vivants. N’ai-je pas raison, mon ami ?
Gabriel Josipovici, Goldberg :
Variations, Quidam éditeur, 2014.
C’est le livre qui paraît chez
Quidam en ce moment, de l’auteur de Moo Pak et de Tout passe, et
c’est formidable. Et ce qui est formidable aussi, c’est que Gabriel Josipovici sera
en France et plus précisément à la librairie Charybde, 129 rue de Charenton (dans
le XIIe, métro Gare de Lyon) demain à 19h30 (j’y serai) et au Comptoir des
mots, 239 rue des Pyrénées (dans le XXEe, métro Gambetta), mardi prochain à 20h.
Auteur étonnant, que je n'avais pas repéré jusque là, bien que vous en ayez déjà parlé, et Claro aussi qui a traduit un de ses titres. Un nom que je retiens en tout cas. Merci de tous ces partages, de ces chemins de lectures que vous parcourez inlassablement, nous prenant pour passagers chaque fois que nous nous avançons.
RépondreSupprimerMichèle P
C'est formidable. Peut-être mon auteur préféré dans tout le catalogue Quidam (et il y en a un paquet que j'aime).
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