« Je me suis fait un petit plaisir : au Gibert Joseph situé à deux pas de la Grande Bibliothèque, j’ai acheté
Pour Éric Chevillard (Éditions de Minuit, 12 euros), ouvrage au titre militant signé de quatre personnes qui m’étaient jusque-là inconnues », lis-je
sous la plume de Patrick Besson, et d’un coup je me souviens. Je me souviens
que j’ai naguère commis sur ces Hublots un article que j’ai intitulé (je me rends compte aujourd’hui de ma légèreté) Patrick Besson ou l’étalage de l’ignorance satisfaite. En effet,
naïvement, je croyais Patrick Besson juste fier de son ignorance et même
si à mon avis il en rajoutait j’avais jugé une
telle attitude peu glorieuse. Jugement un peu rapide, je le
reconnais. Je me repens. Car il y a quelque chose de grand, chez Patrick
Besson. Déjà, son ignorance, il ose la regarder en face ;
même, il la relativise : il avoue que le nom de Tiphaine Samoyault
lui dit vaguement quelque chose. Du coup il l’appelle affectueusement
Tiphaine. Tiphaine par-ci, Tiphaine par-là. Il n’est
pas absolument certain que c’est la même Tiphaine, mais peu importe.
Je ne devrais pas me moquer. Il ne faut pas que je me moque. Car moi aussi, savez-vous, je me suis fait le petit plaisir
d’acheter Pour Eric Chevillard (chez Labyrinthes, situé à
deux pas de la poissonnerie de la rue Chasles). Voyez tout ce que
Patrick Besson et moi avons en commun, même dans les petits
plaisirs. Je ne vous en parle pas parce que je ne l’ai pas encore
lu. Et moi aussi, je l’avoue, je connais le nom de Tiphaine Samoyault.
Mais je connais aussi celui de Pierre Bayard (co-auteur du
même Pour Eric Chevillard) ce qui me place quand même un
degré en-dessous de Patrick Besson, sur l’échelle de l’ignorance.
Heureusement que je ne l’ai pas encore lu (même si, je le
confesse, j’ai déjà lorgné dangereusement certains de ses livres).
Je suis peut-être sauvable, après tout. Qui sait, mon ignorance a
peut-être de l’avenir : je ne connais, je l’avoue sans
honte, encouragé que je suis par Patrick Besson, ni Bruno Blankeman
ni Dominique Viart, les deux autres co-auteurs.
Car
il est clair que c’est l’exemple d’un vaste ménage intérieur que nous
offre Patrick Besson. Lui qui fut probablement
autrefois un homme cultivé, voici qu’il a décidé de ne plus rien
connaître, rien ni personne ; his name is Pat Besson, attention à la
prononciation. Comprendre aussi est un crime,
méfiez-vous. Je me rappelle avoir souri en lisant ce titre, Pour Eric Chevillard, je trouvais ça drôle, bien trouvé. Horreur. Un excédent de culture aura encore eu raison de moi :
il s’agit d’un « titre militant ».
Je
me repens. C’est bien Besson qui rime avec raison. La connaissance est
vouée à la disparition, l’huître et la patate s’en
passent à merveille. Nos connaissances communes représentent déjà si
peu, en regard de tout ce que nous ignorons de concert. Communions
plutôt tous ensemble dans l’ignorance. Creusons encore
davantage cet abîme délicieux. C’est la voie du succès et le
meilleur chemin vers l’entente universelle, et nous avons trouvé notre
prophète.
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