Rien
de tel qu’une bonne gueule de bois pour vous faire rempiler dans les
responsabilités. Les miennes consistaient
essentiellement en un jeu d’épreuves que j’avais omis de brosser
dans le sens de la coquille. Après un laborieux savonnage des gencives
et une franche bolée de Guronsan, je décidai avec
enthousiasme de mériter mon salaire.
Introuvable.
Le manuscrit que m’avait confié Vergegen n’était ni dans le bac à
légumes du réfrigérateur, ni sous le tapis à
franges du salon, ni entre le matelas et les lattes du parquet, ni
même sur mon bureau de fortune. Il avait dû profiter d’une faute
d’inattention mienne pour s’en aller crever dans le lointain et
mythique cimetière des manuscrits.
J’essayai
de remonter mentalement le cours des événements afin de situer
l’instant précis où il m’avait faussé compagnie. Je me
revoyais l’emporter au bistroquet j’avais voisiné avec mes deux
tortionnaires, j’avais la vague impression de l’avoir ramassé dans le
caniveau après notre altercation, je croyais même me souvenir
que le pharmacien l’avait posé sur son comptoir avant de
m’autopsier, mais tout ça demeurait plutôt confus. Est-ce que, par
hasard, Nina la kiosquière…
Le téléphone bêla, interrompant une réflexion qui commençait déjà à s’émousser (et à m’épuiser).
C’était Vergegen en personne ! O, sublime coïncidence des âmes destinées à s’entre-sponsoriser dans le
malheur !
– Mon petit Edme, c’est vous ?
– Quasi, monsieur Vergegen. Je comptais justement vous appeler à propos du travail que vous avez cru judicieux de me confier,
mais qui…
–
Brûlez-le, Edme, brûlez-le immédiatement. Vous vous rappelez ce que je
vous ai dit en vous le remettant ? Les choses ont
pris une certaine tournure depuis et… bon, brûlez-le sans attendre.
Vous allez recevoir par coursier un nouveau jeu d’épreuves, avec les
corrections qui s’imposaient, si je puis dire. C’est
entendu ? Je compte sur votre concrétion. Vous êtes affilié, vous
saurez gérer tout ça sans dérapage émotionnel ni double-bind
scrupulaire.
– Euh… oui, bien sûr… Je comptais justement descendre acheter des allumettes.
– Interaction articulatoire : je savais que vous étiez le pivot de la situation. Allez, à bientôt, Edme !
Au revoir, monsieur Vergeg…
Bip-bip-bip.
Claro, les Souffrances du jeune ver de terre, Babel noir, 2013.
Voilà,
comme ça le ton est donné. C’est le début des ennuis et le dernier
Claro sauf que pas tout à fait puisque initialement
paru en 1996 chez Fleuve noir et que notre homme qui a déjà été
légèrement passé à tabac quelques chapitres auparavant a lui aussi
corrigé son titre. (Comment ça ce roman n’est pas
autobiographique ?) Donc ça a beau être en noir avec une tête de
mort dessus, c’est quand même la franche rigolade assurée, les plaisirs
de la langue en sus. Mercredi (après-demain, donc) à
19h, Claro est l’invité de l’indispensable librairie l’Alinéa, hélas
un peu loin de ma forêt puisque sise au 227 rue de Charenton dans le
XIIe (métro Dugommier), franchement allez-y si vous
pouvez.
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