Chevillé
au corps, le style est aussi une malédiction, comme tout ce qui nous
constitue, il pèse. L’écrivain peut en être las,
comme de son éternelle figure, de ses réflexes, de toutes ses façons
d’être si prévisibles. C’est une ornière encore, même si elle s’écarte
des sentiers battus, même si elle est moins rectiligne
que l’ordinaire sillon, moins parallèle aux autres sillons, même si
le tour d’esprit qui en ordonne le tracé est décidément mal adapté au
joug conçu pour la double échine d’une paire de bœufs. Il
va devoir s’y résoudre, pourtant, au risque aussi de la solitude et
du malentendu.
Eric Chevillard, le désordre AZERTY, Minuit, 2014, p. 90-91.
Quiconque
connaît un peu l’œuvre d’Eric Chevillard ne s’étonnera pas d’apprendre
que le style lui est chevillé au corps, au lard
et à l’art, la cause depuis longtemps était entendue ; mais
personnellement je me réjouis qu’il le vive aussi comme une malédiction,
il n’aurait plus manqué que sa félicité soit absolue et
que son fidèle lecteur qui écrit aussi ses propres livres même
pendant qu’il lit ceux des autres, je vous disais l’autre jour ce qu’il
en était de mes égocentriques lectures, se morfonde tout
seul dans la douloureuse conscience du sien. Un reste de décence me
pousse à remettre à un prochain billet plus ouvertement personnel mon
propre rapport au style, un peu de patience, j’y gémirai
avec plus de précision. Le fait est tout de même que lorsque je lis
« C’est une ornière encore, même si elle s’écarte des sentiers battus,
même si elle est moins rectiligne que l’ordinaire
sillon, moins parallèle aux autres sillons », je serais bien tenté
de crier au génie de mon biographe, s’il ne poursuivait pas par « Il va
devoir s’y résoudre » ; pas si vite
mon bonhomme, parle pour toi, ce n’est pas demain encore que je
renoncerai à n’être pas moi-même.
(Un scrupule me souffle que vous aviez peut-être envie de lire un authentique article sur ce tout nouveau livre d’Eric
Chevillard, passez donc chez Claro.)
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