jeudi 24 mai 2012

Treize mille jours moins un, de Didier da Silva.


Une soixantaine de chips au paprika
 
En fait, il n’y a pas à dire, c’est quand même mieux de suivre les auteurs, plutôt que de n’en lire qu’un titre par-ci par-là (ce que je fais souvent quand même, parce que sinon, aussi, comment savoir ?) De Didier da Silva, j’avais déjà bien aimé Hoffmann à Tôkyô, paru l’an dernier chez Naïve ; un peu dépaysé tout de même par ce récit sans histoire, anodine odyssée toute en apesanteur dans un paysage estampillé japonais qui valut sans doute au livre quelques contresens : il n’y était guère plus question du Japon que du Mali chez Chevillard quand celui-ci écrivait Oreille rouge. Est-ce le retour dans un paysage moins exotique à mes yeux (quoique…) – puisque c’est Marseille qui remplace Tôkyô dans Treize mille jours moins un –, ou simplement le plaisir de la reconnaissance, ou même – n’ayons pas peur des mots – des retrouvailles avec un ton devenu familier : c’est sans réserve que je recommande la lecture de ce court récit, nouveau roman d’aventures sans aventures – voire : Sam joue du piano, se promène au hasard dans les parcs et par les rues, prend un bain de minuit, rentre chez lui, attend la pluie, s’endort, ressort le lendemain. Le drame tout de même est là, permanent, qui guette notre héros : sera-t-il victime d’une agression ? en tout cas les rochers sont coupants ; pour peu qu’on manque d’attention en sortant de l’eau, une blessure au pied peut vous gâcher la journée – sans parler de la fin tragique d’un poisson d’aquarium, d’un pied de tomate, d’une pédale de piano. Didier da Silva ne s’en cache pas : les grandes aventures, les fresques épiques, les intrigues complexes, très peu pour lui ! Ce fatras-là, il est tout juste bon à hanter les cauchemars de Sam : « Ses cauchemars sont longs, compliqués, riches de rebondissements ; de vrais romans avec une intrigue, du suspense, une galerie de seconds rôles (l’horreur vraiment). La seule image qu’il garderait de celui-ci serait celle-là, dont l’incongruité le rendrait extrêmement perplexe : dans un moment de panique absolue (prise d’otages ou incendie, pas moyen de s’en souvenir), sa mère rangeant toute affaire cessante, dans les compartiments d’un lave-vaisselle, une soixantaine de chips au paprika. » (p. 49-50). C’est sans doute qu’il existe, aux yeux de l’auteur, une alternative à cette matière traditionnelle du roman qui, à force d’en (ab)user, se réduit de plus en plus souvent à une triste série de lieux communs de la fiction. Et chez Didier da Silva, ce ne sont pas non plus les symboles qu’il faut chercher : s’il y en a, c’est pour mieux les vider du sens qu’on leur trouverait habituellement, quitte même – comme il arrive au bel arc-en-ciel final – à leur tourner le dos ; non, ce qu’il y a chez lui, c’est d’abord un ton, une sorte de couleur du son, maintenue par la force interne du style, comme dirait – à peu près – Flaubert ; la recherche quasi musicale du parfait équilibre, de la note parfaite, entre humour et humanité – puisque Sam, notre héros si peu héroïque, est aussi musicien ; et l’auteur (me rappelle soudain la quatrième de couverture de Hoffmann à Tôkyô) – aussi.
 
  Novembre 2008.
  
Peu de temps pour alimenter ce blog, alors je continue à recycler de vieilles critiques (enfin, disons plutôt de vieilles impressions de lecture) qui lui sont antérieures – car les livres, en tout cas certains, ne vieillissent pas. J’ai juste pris soin d’ôter la majuscule au da de Didier : je ne savais pas encore à l’époque qu’à ce sujet l’auteur ne plaisante pas – c’est vrai aussi que d’une minuscule il saurait faire une épopée. Ces Treize mille jours moins un (dont j’avais posté un extrait tout à fait au début de ces Hublots ; après tout c’est un peu Didier qui m’a donné l’idée d’ouvrir un blog, lui-même en a deux) sont parus dans la belle collection LaureLi des éditions Léo Scheer, comme plus récemment l’Automne zéro neuf, roman atmosphérique, premier du genre.


Commentaires

Remarque minuscule : tu me fais encore plus inactuel que je ne suis. En Mars 2006, je n'avais pas encore commencé à écrire Hoffmann... Le 9 se sera décroché. Ça arrive souvent. ;-)
Commentaire n°1 posté par Didier da le 25/05/2012 à 06h55
Mais oui ! Je me demande où j'ai pris cette date, puisqu'en cherchant à la même place je viens de trouver celle de novembre 2008 - c'est-à-dire à quelques jours de l'ouverture de ces Hublots.
J'espère que tu travailles de toutes tes forces, on commence à s'impatienter.
Réponse de PhA le 25/05/2012 à 07h26
Je  l'avais lu avec plaisir, à l'époque. Je vais le relire, tiens.
Commentaire n°2 posté par Anna de Sandre le 25/05/2012 à 09h13
A l'époque où j'emmerdais Loïs ?
Réponse de PhA le 25/05/2012 à 23h09
Et oui :-)
Commentaire n°3 posté par Anna de Sandre le 26/05/2012 à 08h44

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