Une soixantaine de chips au paprika
En fait, il n’y a pas à dire, c’est quand même mieux de suivre les auteurs, plutôt que de n’en lire qu’un titre par-ci par-là
(ce que je fais souvent quand même, parce que sinon, aussi, comment savoir ?) De Didier da Silva, j’avais déjà bien aimé Hoffmann à Tôkyô,
paru l’an dernier chez
Naïve ; un peu dépaysé tout de même par ce récit sans histoire,
anodine odyssée toute en apesanteur dans un paysage estampillé japonais
qui valut sans doute au livre quelques
contresens : il n’y était guère plus question du Japon que du Mali
chez Chevillard quand celui-ci écrivait Oreille rouge. Est-ce le retour dans un paysage moins exotique à mes yeux
(quoique…) – puisque c’est Marseille qui remplace Tôkyô dans Treize mille jours moins un
–, ou simplement le plaisir de la reconnaissance, ou même – n’ayons pas
peur des
mots – des retrouvailles avec un ton devenu familier : c’est sans
réserve que je recommande la lecture de ce court récit, nouveau roman
d’aventures sans aventures – voire : Sam joue du
piano, se promène au hasard dans les parcs et par les rues, prend un
bain de minuit, rentre chez lui, attend la pluie, s’endort, ressort le
lendemain. Le drame tout de même est là, permanent, qui
guette notre héros : sera-t-il victime d’une agression ? en tout cas
les rochers sont coupants ; pour peu qu’on manque d’attention en
sortant de l’eau, une blessure au pied peut
vous gâcher la journée – sans parler de la fin tragique d’un poisson
d’aquarium, d’un pied de tomate, d’une pédale de piano. Didier da Silva
ne s’en cache pas : les grandes aventures, les
fresques épiques, les intrigues complexes, très peu pour lui ! Ce
fatras-là, il est tout juste bon à hanter les cauchemars de Sam : « Ses
cauchemars sont longs, compliqués, riches
de rebondissements ; de vrais romans avec une intrigue, du suspense,
une galerie de seconds rôles (l’horreur vraiment). La seule image qu’il
garderait de celui-ci serait celle-là, dont
l’incongruité le rendrait extrêmement perplexe : dans un moment de
panique absolue (prise d’otages ou incendie, pas moyen de s’en
souvenir), sa mère rangeant toute affaire cessante, dans les
compartiments d’un lave-vaisselle, une soixantaine de chips au
paprika. » (p. 49-50). C’est sans doute qu’il existe, aux yeux de
l’auteur, une alternative à cette matière traditionnelle du
roman qui, à force d’en (ab)user, se réduit de plus en plus souvent à
une triste série de lieux communs de la fiction. Et chez Didier da
Silva, ce ne sont pas non plus les symboles qu’il faut
chercher : s’il y en a, c’est pour mieux les vider du sens qu’on
leur trouverait habituellement, quitte même – comme il arrive au bel
arc-en-ciel final – à leur tourner le dos ; non, ce
qu’il y a chez lui, c’est d’abord un ton, une sorte de couleur
du son, maintenue par la force interne du style, comme dirait – à peu
près – Flaubert ; la recherche quasi musicale du
parfait équilibre, de la note parfaite, entre humour et humanité –
puisque Sam, notre héros si peu héroïque, est aussi musicien ; et
l’auteur (me rappelle soudain la quatrième de couverture
de Hoffmann à Tôkyô) – aussi.
Novembre 2008.
Peu
de temps pour alimenter ce blog, alors je continue à recycler de
vieilles critiques (enfin, disons plutôt de vieilles
impressions de lecture) qui lui sont antérieures – car les livres,
en tout cas certains, ne vieillissent pas. J’ai juste pris soin d’ôter
la majuscule au da de Didier : je ne savais pas
encore à l’époque qu’à ce sujet l’auteur ne plaisante pas – c’est
vrai aussi que d’une minuscule il saurait faire une épopée. Ces Treize mille jours moins un (dont
j’avais posté un extrait tout à fait au début de ces Hublots ; après tout c’est un peu Didier qui m’a donné l’idée d’ouvrir
un blog, lui-même en a deux) sont parus dans la belle collection LaureLi des éditions Léo Scheer,
comme plus récemment l’Automne zéro neuf, roman atmosphérique, premier
du genre.
J'espère que tu travailles de toutes tes forces, on commence à s'impatienter.