Longtemps,
j’ai regardé ailleurs. Pendant cinq ans au moins. Je ne faisais pas
exprès, je ne m’en suis pas rendu compte tout de
suite. Et puis un jour, à la cantine, c’était sept ou huit mois
après son élection, j’écoutais deux collègues qui disaient que partout
on ne voyait que lui, on n’entendait que lui, et je me suis
rendu compte que moi je ne l’entendais plus. Sa voix, son phrasé si
caractéristique, cela appartenait déjà au passé. Bien sûr je savais
qu’il n’y avait rien de vrai dans ce que je ressentais, je
savais que c’étaient mes deux collègues qui étaient dans le vrai :
partout, on ne voyait, on n’entendait que lui. Mais pas moi. A bien y
réfléchir, quand même, il y avait bien, quelque part
dans un coin de mon champ de vision, une petite forme floue qui
s’agitait pour attirer mon attention : c’était lui. Mais je ne le voyais
plus. Je ne l’entendais plus. Je n’étais même pas sûr
de l’orthographe de son nom.
Il n’y a pas de quoi se vanter, hein. C’était juste un symptôme. Cet homme, je m’étais forcé à l’écouter durant sa campagne
électorale, sans parvenir à imaginer – tout en le sachant – que les gens allaient l’élire. Cet homme dont l’activité principale avait consisté à se montrer. Qui s’était fait
connaître du grand public en se montrant, lors d’une prise
d’otages dans une maternelle où l’on n’avait pas réussi à arrêter vivant
le preneur d’otages, et qui m’était immédiatement
apparu comme, non, pas antipathique, d’ailleurs le mot ne m’est pas
venu tout de suite, il m’est venu plus tard, sans doute au moment du
Kärcher, ou du Fouquet’s, ou du yacht, ou à un autre
moment encore. Obscène. Alors après son élection, le regarder,
l’écouter encore, non, ce n’était plus possible. Lire après tout était
bien suffisant. La télé pendant des siècles on s’en est
passé.
Obscène
le mot est fort peut-être. Question de sensibilité. Et puis
l’obscénité, ou ce que moi je prends pour de l’obscénité,
est bien partagée. Tiens, la récente candidature de Patrick Poivre
d’Arvor à l’Académie Française, ça avait bien quelque chose d’obscène
aussi (mais au moins c’était drôle). L’obscénité est
peut-être dans l’air du temps, montrez-vous montrez-vous, il y en
aura bien pour finir par croire que vous existez. Sarkozy, certainement,
a bien incarné l’air du temps. On ne peut pas lui
retirer ça. Il reste encore à changer l’air.
Obscénité, c'est le mot juste, jusque dans le discours de ce soir où il jouait à celui qui arrache des lambeaux de son coeur pour l'offrir à son public. Margot était en larmes. Pourquoi ai-je regardé? Peut-être pour en croire mes yeux. Obscénité aussi pour le journaliste en question, bien évidemment....
Depuis quelques jours, je ressens cette impression d'un certain apaisement ce qui, en soi et objectivement, n'a pas vraiment lieu d'être mais c'est ainsi...
Avec le rongeur et ses acolytes, leurs propos, leurs actes calamiteux, haineux, violents, au quotidien, préjudiciables à la société en général et, en corollaire, aux relations entre citoyens" ordinaires, j'en étais arrivée à un véritable état de stress permanent, une "pression", un état de fureur que je n'avais jamais connus auparavant: oui, un soulagement, comme une respiration...