jeudi 23 février 2012

Monique Rivet franchit le Glacis.


Il y a quelques années, attendez que je vous dise, voilà, c’était le 19 novembre 2005, la Médiathèque Florian de Rambouillet m’avait invité à présenter mon travail, qui à l’époque se limitait officiellement à deux livres seulement (les deux premiers en haut à droite). Ce fut un bon moment et parmi l’assistance, moyennement nombreuse mais forcément de qualité, il y avait une dame dont les questions, les remarques – elle avait déjà lu les deux livres en question, ce qui fait toujours plaisir – me signalaient une lectrice particulièrement avertie. Nous avons bien discuté dès cette première fois, mais c’est par la suite, et par un tiers, que j’ai appris qu’elle-même était un auteur publié ; sa discrétion lui ayant fait taire la chose. Il faut dire que cela datait un peu et que Monique Rivet ne se fait pas une gloire d’avoir été publiée par deux éditeurs pourtant prestigieux (Flammarion et Gallimard) à une époque où cela faisait encore sens – je ne me suis pas gêné pour l’interroger à ce sujet à notre rencontre suivante.
C’est à cette époque, il y a plus de cinquante ans, qu’elle a écrit le Glacis, dont Flammarion, l’éditeur de son premier roman, n’a pas voulu – je serais tenté de dire, à cause du contexte politique – et que, dans une insouciance éditoriale peu courante chez les écrivains, elle a laissé dans un tiroir durant tout ce temps.
Le Glacis, c’est donc le roman d’une toute jeune femme – et le récit d’une toute jeune femme, double fictif de l’auteur, envoyé par l’Education Nationale à Sidi Bel Abbès (El-Djond dans le roman), sidérée par l’apartheid sans nom qui y règne et auquel le titre du roman en donne un, « le Glacis », du nom de l’avenue qui divise les deux parties de la ville. Sa maladresse l’amène progressivement dans une situation de plus en plus intenable, une maladresse qui n’est pas tant, à mes yeux, l’effet de sa naïveté de jeune métropolitaine, comme j’ai cru l’avoir lu quelque part, mais plutôt l’expression d’une intégrité, d’une entièreté ai-je envie de dire, qui se refuse à composer alors que c’est la seule manière de survivre dans ce monde en décomposition. Le récit, souvent elliptique, joue des temps, passe du passé au présent comme à un gros plan sur un visage, puis le point de vue prend du champ, on apprend ce qui se passe en même temps et que Laure, la narratrice, sur le moment ignore, apprendra ou comprendra plus tard ; c’est une conscience qui se construit devant nous, prise dans une guerre innommée – on dit « les événements » –, où le hasard se trouve exacerbé jusqu’à son point le plus cruel.
Le Glacis est un beau roman, dont je recommande la lecture ; il touchera aussi bien les lecteurs qui ont des souvenirs de cette époque que ceux qui ont aujourd’hui l’âge de l’héroïne – et même ceux qui se situent quelque part entre les deux, comme moi. C’est un beau roman et, comme dit la chanson, c’est aussi une belle histoire que celle de cette publication – je vous renvoie à l’article très riche de Philippe Lançon dans Libération pour plus de détails. Et c’est une chance car, ayant déjà tenté moi-même en vain de convaincre Monique Rivet de renouer avec l’édition, je sais qu’il a fallu à cette publication un concours de circonstances particulièrement favorable : c’est une chance aussi pour Anne-Marie Métailié que des personnes bien inspirées ait poussé Monique Rivet à déposer son manuscrit à ses bureaux. Une chance et une belle rencontre, comme on a pu en juger jeudi dernier à la librairie Labyrinthes de Rambouillet où l’auteur et son éditrice étaient invitées.
On l’aura compris, j’ai à la fois beaucoup de sympathie et d’estime pour Monique Rivet et son regard clair, au propre comme au figuré. C’est aussi que j’avais déjà eu la chance de lire d’elle un autre texte, encore inédit – une chance que j’aimerais bien partager avec d’autres.









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Commentaires

Une femme intelligente qui a une vision de l'écriture et de l'édition que je partage.
Commentaire n°1 posté par Pascale le 23/02/2012 à 16h51
Anne-Marie Métailié ? C'était très intéressant de l'écouter aussi, avec Monique Rivet, à Labyrinthes ; et on sent que ce texte lui tient à coeur.
Réponse de PhA le 23/02/2012 à 17h51
Je pensais à Monique Rivet, de ce que tu nous en dis, et Labyrinthes de Rambouillet, oui, une très belle librairie !
Commentaire n°2 posté par Pascale le 23/02/2012 à 18h30
Ah oui, à l'opposé de cette tendance actuelle à publier vraiment trop et à tout prix. (Et oui aussi, Labyrinthes !)
Réponse de PhA le 23/02/2012 à 18h41

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