samedi 21 novembre 2009

Folle Blanche

Le cyprès à terre, mon ciel se dégageait. Changer le paysage m’avait demandé un effort qui avait eu du mal à s’extirper de moi. J’étais enfermé, taiseux et les voisins qui spontanément s’étaient mis au travail dans mon jardin me réveillaient. Blanche avait raison, je le savais, j’étais un animal terré. Elle arriva vers midi dans le groupe des enfants sur le sentier de l’autre côté du buisson. Sa présence changeait tout en moi, c’était insupportable et attirant. Emmitouflée dans une écharpe de laine, elle se faisait raconter la chute de l’arbre dont les détails fusaient autour d’elle. Nous avions terminé le dépeçage et les bûches furent bien­tôt calées au fond du jardin. J’allai saluer Blanche et elle me dit, la main sur la mienne :
« Je sens un air nouveau traverser votre jardin. »
Je me retournai alors vers l’absence de cyprès et tendis mon visage comme on le présente quand on arrive sur la dune, lorsqu’on découvre l’océan, les embruns, le vent et qu’il ne s’agit pas de voir tout d’abord mais de respirer l’iode, d’éprouver son visage dans le vent d’ouest, de recevoir sur la peau le toucher de l’air libre. Blanche souriait et je ris de moi ; je ne savais pas respirer et j’avais avalé goulûment le souffle venu du ciel du jardin. On parla de déjeuner et l’homme du chemin du bois de Vivonne invita les bûcherons de cette matinée à manger un morceau. Une flopée d’enfants et d’hommes quittèrent mon jardin et Blanche, tâtonnant le portail bas, entra. Je l’accueillis, mis ma main sur son épaule et l’amenai doucement sur l’allée jusqu’au fond, dans les derniers débris de bois, de sève odorante, là où la terre allait respirer et le ciel circuler. Blanche regardait avec tout son corps et j’étais une fois encore stupéfait de la voir appréhender l’espace le plus simplement du monde. Elle écarta les bras et tourna lentement, prenant ainsi la place de l’arbre disparu ; elle dit :
« Vous sentez toujours si bon le bois. Tous les bois. »
Puis elle s’accroupit et chercha du bout des doigts des copeaux qu’elle choisissait et qu’elle respirait lon­guement. « Savez-vous que l’essence de cyprès ouvre les portes en nous, permet les passages ? » Folle Blanche, petite sorcière. Je ne pourrais plus désormais brûler une branche ou une bûche du cyprès sans penser à elle, sans respirer et écouter mon souffle s’ouvrir.
 
Cathie Barreau, Ecoute s’il neige, éditions Laurence Teper, 2009, p. 65-66.
 
« Folle Blanche », je n’ai pas pu m’empêcher de poser la question à l’auteur, tout à l’heure – bien sûr, c’est aussi la vigne, ce cépage typique du Pays Nantais où vivent Cathie Barreau et les personnages d’Ecoute s’il neige. Car c’est bien sûr une histoire d’ivresse.
Merci à Pascale, qui animait la rencontre, et bravo à la Bibliothèque Sonore d’Orsay, grâce à qui ceux qui sont comme Blanche ont aussi accès à la lecture, y compris des œuvres les plus contemporaines. 



Commentaires

Philippe blogue plus vite que son ombre ! Comment fait-il ? Mystère !

Merci Philippe, de ta présence qui m'a touchée, une fois encore. Merci de ta participation. J'étais contente que tu puisses discuter avec Cathie, je lui avais parlé de toi juste avant et elle t'attendait ; c'est une fille bien, qui écrit bien, qui explique bien son travail d'écrivain. Les lecteurs et audio lecteurs semblaient contents... Je recommence dès que possible, partout, chez eux, ailleurs, là où le partage à encore un sens. Et je ne t'oublie pas, dès que je peux, je t'offre une soirée comme celle là.
Commentaire n°1 posté par Pascale le 21/11/2009 à 22h03
Et moi j'ai été ravi de discuter avec elle, et c'est vrai qu'elle est aussi douée à l'oral qu'à l'écrit. (Je suis en train de remplir les bulletins du premier trimestre, là ; pardon si mes commentaires s'en ressentent...)
Réponse de PhA le 21/11/2009 à 22h17
Et bien sûr, l'on n'a pas remarqué l'ombre de Depluloin, présente toujours.
Commentaire n°2 posté par Depluloin le 22/11/2009 à 00h52
Depluloin est partout. (Et Pascale dit vrai !)
Réponse de PhA le 22/11/2009 à 12h04
Détrompez-vous, elle planait puisque nous avons parlé de vous! Juré!
Commentaire n°3 posté par Pascale le 22/11/2009 à 00h55
PhA je (ne) vous hais (point) ! Je lirai ce livre. Pas seulement parce que l'extrait est très bien écrit (bien que ce soit un prérequis oeuf corse), mais parce que le mot "taiseux" est un de ceux qui me parlent le plus, et à cause du titre. Je suis très auditive et peu  visuelle. Et je pourrais passer ma vie à écrire sur la neige.
(Nom d'un stylo Mont blanc, vous m'emmerdez, Annocque !)
Commentaire n°4 posté par Anna de Sandre le 22/11/2009 à 10h10
Si vous êtes très auditive (voire tactile, olfactive ou gustative), alors ce livre est vraiment pour vous, Anna ! (ça me fait penser que dans le genre auditif, j'en ai encore un, ou plutôt deux autres, vers les débuts de ce blog, à vous signaler, histoire d'emmerder encore un peu Loïs)
Réponse de PhA le 22/11/2009 à 12h11
Très olfactive. Je peux trouver un laideron séduisant s'il porte un excellent parfum. Mais oubliez vos prescriptions de bouquin, de grâce, mes finances sont au plus mal :o)
Commentaire n°5 posté par Anna de Sandre le 22/11/2009 à 13h17
Enfin, Anna, vous savez bien que je suis sans pitié !
Réponse de PhA le 22/11/2009 à 14h37
Hélas, pourquoi vous implore-je ?
Commentaire n°6 posté par Anna de Sandre le 22/11/2009 à 14h50
Pour châtier sa présomption, j'ai bien envie de recommander à l'auditive lectrice les deux premiers romans de Gabriel Bergounioux : Il y a un et Il y a de.
Réponse de PhA le 22/11/2009 à 16h21
@Anne de Sandre : triez d'un oeil avisé les lectures de Philippe et lisez d'abord Cathie Barreau, son Bergougnioux peut attendre! "Ecoute s'il neige" est pour vous, comme je pensais qu'il avait été écrit rien que pour moi. Personne à qui je l'ai conseillé n'a pour l'instant regretté son achat. Certains, hier, en ont même acheté trois pour l'offrir à des proches à Noël.
Commentaire n°7 posté par Pascale le 22/11/2009 à 17h35
Tut tut ! Pascale ! Je sens qu'il va falloir que je te fasse lire aussi Gabriel Bergounioux. (Même à Cathie je l'ai conseillé. Bon, c'est vrai que si le moral est bas, il vaut mieux lire Cathie Barreau, la cécité chez elle n'arrête pas la lumière.)
Réponse de PhA le 22/11/2009 à 17h51
Tu as déjà essayé plusieurs fois mais je quête la lumière donc il attendra que le moral soit au beau fixe!
Commentaire n°8 posté par Pascale le 22/11/2009 à 17h56

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