Le
cyprès à terre, mon ciel se dégageait. Changer le paysage m’avait
demandé un effort qui avait eu du mal à s’extirper de moi. J’étais
enfermé, taiseux et
les voisins qui spontanément s’étaient mis au travail dans mon
jardin me réveillaient. Blanche avait raison, je le savais, j’étais un
animal terré. Elle arriva vers midi dans le groupe des
enfants sur le sentier de l’autre côté du buisson. Sa présence
changeait tout en moi, c’était insupportable et attirant. Emmitouflée
dans une écharpe de laine, elle se faisait raconter la chute
de l’arbre dont les détails fusaient autour d’elle. Nous avions
terminé le dépeçage et les bûches furent bientôt calées au fond du
jardin. J’allai saluer Blanche et elle me dit, la main sur la
mienne :
« Je sens un air nouveau traverser votre jardin. »
Je
me retournai alors vers l’absence de cyprès et tendis mon visage comme
on le présente quand on arrive sur la
dune, lorsqu’on découvre l’océan, les embruns, le vent et qu’il ne
s’agit pas de voir tout d’abord mais de respirer l’iode, d’éprouver son
visage dans le vent d’ouest, de recevoir sur la peau le
toucher de l’air libre. Blanche souriait et je ris de moi ; je ne
savais pas respirer et j’avais avalé goulûment le souffle venu du ciel
du jardin. On parla de déjeuner et l’homme du chemin
du bois de Vivonne invita les bûcherons de cette matinée à manger un
morceau. Une flopée d’enfants et d’hommes quittèrent mon jardin et
Blanche, tâtonnant le portail bas, entra. Je l’accueillis,
mis ma main sur son épaule et l’amenai doucement sur l’allée
jusqu’au fond, dans les derniers débris de bois, de sève odorante, là où
la terre allait respirer et le ciel circuler. Blanche
regardait avec tout son corps et j’étais une fois encore stupéfait
de la voir appréhender l’espace le plus simplement du monde. Elle écarta
les bras et tourna lentement, prenant ainsi la place de
l’arbre disparu ; elle dit :
« Vous sentez toujours si bon le bois. Tous les bois. »
Puis
elle s’accroupit et chercha du bout des doigts des copeaux qu’elle
choisissait et qu’elle respirait
longuement. « Savez-vous que l’essence de cyprès ouvre les portes
en nous, permet les passages ? » Folle Blanche, petite sorcière. Je ne
pourrais plus désormais brûler une branche
ou une bûche du cyprès sans penser à elle, sans respirer et écouter
mon souffle s’ouvrir.
Cathie Barreau, Ecoute s’il neige,
éditions Laurence Teper, 2009, p. 65-66.
« Folle Blanche », je n’ai pas pu m’empêcher de poser la question à
l’auteur, tout à l’heure – bien sûr, c’est aussi la vigne, ce cépage
typique du Pays Nantais où vivent Cathie Barreau
et les personnages d’Ecoute s’il neige. Car c’est bien sûr une histoire d’ivresse.
Merci à Pascale, qui animait la rencontre, et bravo à la Bibliothèque Sonore
d’Orsay, grâce à qui ceux qui sont comme Blanche ont aussi accès à la lecture, y compris des œuvres les plus contemporaines.
Merci Philippe, de ta présence qui m'a touchée, une fois encore. Merci de ta participation. J'étais contente que tu puisses discuter avec Cathie, je lui avais parlé de toi juste avant et elle t'attendait ; c'est une fille bien, qui écrit bien, qui explique bien son travail d'écrivain. Les lecteurs et audio lecteurs semblaient contents... Je recommence dès que possible, partout, chez eux, ailleurs, là où le partage à encore un sens. Et je ne t'oublie pas, dès que je peux, je t'offre une soirée comme celle là.
(Nom d'un stylo Mont blanc, vous m'emmerdez, Annocque !)