jeudi 6 mars 2025

Guy Bennett En exergue : « Écrire, c’est lire avant même que ce soit écrit »

Attention, le titre de ce billet est trompeur – et peut-être d’autant plus éclairant.

Quand j’ai vu que Guy Bennett avait publié un nouveau livre (il est paru en janvier aux éditions LansKine, on ne m’avait rien dit, il me faudrait un secrétaire chargé de m’informer de tous les livres qui paraissent et qui ont des chances de m’intéresser, il aurait du travail, non pas que ces livres soient si nombreux, mais parce que, comme c’est écrit en-dessous de ces Hublots « la visibilité est mauvaise), je suis passé à la librairie de la ville où je travaille (les habitants des Essarts-le-Roi sont de sacrés veinards, ils ont une vraie librairie pour eux, c’est rarissime pour une commune francilienne de cette taille) pour le commander.

Bien sûr j’avais déjà dans l’idée, après lecture, d’écrire un petit billet dessus, comme je l’ai déjà fait pour Poèmes évidents, Ce livre, Œuvres presque accomplies, et Remerciements, tous du même Guy Bennett dont, on l’aura compris, le travail m’intéresse au plus haut point. Qui plus est, En exergue (c’est le titre de ce nouveau livre) est paru aux éditions LansKine où doit paraître mon petit prochain (mais chut). Qui plus est, En exergue (c’est le titre de ce nouveau livre) est, ou était, car j’en ai lu la quatrième de couverture avant d’ouvrir le livre, « une méditation sur l’usage et l’abus des citations dans le discours, dans la littérature, dans la vie ». Lesquelles sont la matrice même d’En exergue. Elles y sont comme il se doit placées en exergue, l’une toutefois plus que d’autres, puisqu’elle est en exergue de tout le livre En exergue même – on ne s’étonnera pas de la devoir à Borges : « Je constate avec une sorte de mélancolie douce-amère que tout au monde me ramène à une citation ou à un livre. » Certaines sont tellement dignes d’être en exergue qu’elles ne le sont pas : en gros caractères, elles remplissent leur propre page, nous laissant à penser que c’est à nous de penser.

Car les autres vont par paire, se répondant, se faisant écho ou faisant mine de s’opposer ; et c’est cette paire même – une citation en regard d’une autre – qui donne matière à la réflexion de l’auteur, dans un commentaire également double : x par rapport à y, y par rapport à x.

Et voici que, dès la page 11, après un développement généré par la rencontre sur une page de Guy Bennett de deux réflexions sur ce qu’est l’écriture respectivement de Marguerite Duras et Claude Roy, en vient un autre, inspiré sur le même sujet (qui l’est toujours sans jamais l’être jamais, c’est juste l’infini ce truc) par Laure Limongi et Eve Sauze-Chapel. Or, là où l’on n’attendait que le dialogue entre ces deux dernières, voici que vient s’insérer une parenthèse (au diable ces parenthèses !) dans laquelle s’ouvrent des guillemets : on y lit une autre citation encore, laquelle n’est pas en exergue, c’est une petite esseulée, ou une petite bien entourée. Je vous recopie cette parenthèse, en voici une au moins qu’on ne pourra pas m’imputer :


« (comme Philippe Annocque l’a remarqué, « Écrire, c’est lire avant même que ce soit écrit ».) »


Oui, vous avez bien lu : il semblerait que l’auteur de cette citation soit aussi l’auteur de ce billet. J’écris « il semblerait » car j’avoue ne plus savoir où j’aurais écrit, ou prononcé, cette phrase, ni même si elle est vraiment de moi. Mais comme j’ai par principe toute confiance en l’auteur, je fais confiance à Guy Bennett : cette citation doit être de moi. D’ailleurs, si je m’interroge, je dois bien reconnaître qu’elle pourrait l’être. Je pourrais très bien avoir écrit « Écrire, c’est lire avant même que ce soit écrit ». Cela correspond à quelque chose que je pense, ou que je sens. Dès lors, pourquoi cet instant de doute (indépendamment du fait que je doute de tout ce qui me concerne – mais cela ne concerne que moi) ? C’est très certainement, c’est indiscutablement lié à la pratique même de la citation. On extrait une phrase de son contexte (mais si on le fait, c’est parce que l’auteur lui-même a rendu possible cette extraction ; l’auteur a préparé dans son texte les citations potentielles – certains même le font d’une manière un peu pathétique), j’ai rendu possible cette extraction. La citation est une phrase qui n’est plus vraiment de l’auteur qui l’a écrite ; elle est presque davantage de l’auteur qui la cite – du moins est-ce ainsi que je vois les choses quand je me vois cité. Plus encore, la citation, avec cette forme aphoristique qui la caractérise souvent, a été, consciemment ou non, écrite pour être détachée de son contexte, pour être citée. Le présent gnomique, l’emploi d’un déterminant à valeur générale, tout cela détache la future citation de la singularité du texte. C’est une phrase démontable prévue pour l’usage commun.

Ce billet est déjà démesurément long, aussi m’arrêterai-je ici, alors que je n’ai encore rien dit ou presque d’En exergue. Ou peut-être que si ? Lisez-le et dites-moi.






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire