samedi 6 février 2016

Pour en finir avec les mauvais sujets

Cet article a été publié en 2011 sur le site MéLiCo, mémoire de la librairie contemporaine.


Il n’y a pas que le sujet écrivais-je la dernière fois mais tout de même : est-ce à dire que tous les sujets seraient bons ? - puisqu’on dit souvent qu’il n’y en a pas de mauvais, depuis que le roi est mort. Mais voici justement que le roi – pardon, le président – et une tique me soufflent une réponse.

La tique, d’abord. J’étais tranquillement en train d’écrire (ne croyez pas l’adverbe en -ment : il ment) lorsque je remarque une toute petite bête qui se promène sur mon cahier. (Oui, en ce moment, j’écris dans un cahier. Pour voir. C’est un projet qui s’écrit à la main et dans un cahier. Mais fermons cette parenthèse hors sujet.) Sur mon cahier, au-dessus duquel je songeais à mon sujet, lorsque cet autre a fait mine de s’imposer. Un tout petit sujet qui se promenait sur ma page blanche. Malgré ses huit pattes attestant sans coup férir de son appartenance à la classe des arachnides, la relative lenteur de mon sujet me fit tout de suite douter qu’il ressortît à l’ordre des aranéides : il s’agissait bien plus probablement d’un acarien, et après un examen plus approfondi, très probablement d’une tique qui avait dû s’accrocher à mes vêtements lors d’une de mes récentes sorties. Ce sujet n’ayant pas l’heur de me plaire, je l’écrasai non sans quelque peine (la bestiole est vaguement élastique).

Et pourtant, me disais-je, était-ce un si mauvais sujet ? Car ce sujet-là, par son intrusion subite sur ma page blanche, s’imposait – or quelle valeur peut-on trouver à un sujet autre que le fait que, à un moment ou à un autre, il s’impose à son auteur au point que celui-ci ne peut faire autrement que de le traiter ? C’est là le sujet vrai, c’est là que le sujet est juste. Ce n’est pas l’un de ces sujets plus ou moins artificiels que je pointais d’un doigt critique lors de ma dernière visite. Voilà : un bon sujet, c’est un sujet qu’on ne pas faire autrement que de traiter.

Le président, maintenant. C’est intéressant la politique : ça permet de mieux comprendre la littérature. Le président aime ses sujets, d’où mon lapsus de tout à l’heure. Mais les sujets du président ne sont pas nécessairement ceux que la vie politique impose, c’est plutôt lui qui les impose à la vie politique (rendons-lui cette justice : il n’est pas l’inventeur de cette pratique, qu’il maîtrise toutefois parfaitement). En faire une liste serait fastidieux, la démonstration est faite : ce sont de mauvais sujets. Ouste, Roms et consorts, du balai ! Ce sont de mauvais sujets parce qu’ils ne se sont pas imposés d’eux-mêmes : ils ont été choisis. Ils étaient plus séduisants que les vrais. Surtout : ils étaient plus faciles. Mais on ne doit pas choisir ses sujets. Tout de suite, pour le lecteur attentif, ça sonne faux, c’est artificiel. Cela dit, parfois, on s’y laisse prendre.

De ce côté-ci de la page, je laisse venir le sujet. J’ai cru écraser la tique, voyez le résultat : elle s’est étalée sur la surface d’un paragraphe. Dès que j’aurai un peu plus de temps, je retourne à la lecture. Quoi lire, aussi, reste la question. Ne pas lire n’importe quoi n’importe quand. Laissons la bonne lecture s’imposer.
 

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