La littérature, c’est foutu.
(D’un naturel plutôt enjoué et d’humeur égale dans la vie quotidienne ;
dès lors qu’il s’agit de littérature, l’auteur - n’ayons pas peur des
mots : à son tour appelons-le le sujet - laisse paraître quelques
symptômes d’un possible trouble bipolaire auquel il convient toutefois de ne
pas prêter trop d’attention.) Donc : la littérature, c’est foutu. Il est
là dans les couloirs du métro les yeux au sol à ruminer : la littérature,
c’est foutu. La littérature, c’est foutu. Sa pensée ne va pas plus loin ;
d’ailleurs il ne pense pas, il rumine. Sa rumination l’absorbe cependant,
suffisamment pour ne pas prendre conscience tout de suite de ce qui entrave sa
progression dans son couloir de métro : c’est machinalement que ses pieds
évitent les taches de sang. La littérature c’est foutu et le sol du couloir du
métro Montparnasse est plein de taches de sang, c’est pas une blague, ceci
explique cela ; c’est foutu mais ça va bien agoniser pendant, allons, ne soyons
pas mesquin, encore un siècle un siècle et demi, peut-être plus, c’est sûrement
quelqu’un qui saignait du nez, toutes ces taches en étoiles c’est
caractéristique, en tout cas ça saignait sacrément beaucoup quand même, dommage
que le sol du métro soit presque noir, c’est joli mais ça ne vaut pas le sang
dans la neige, un divertissement de roi dans un livre qui a aussi compté pour
moi.
Plus tard dans le train le signal
d’alarme n’a pas cessé de retentir. Façon de parler, il a bien fini par cesser.
Mais pendant longtemps le train continuant son trajet comme si de rien n’était
donnait l’impression qu’il ne cessait pas. Jusqu’à ce qu’à Versailles le train
s’arrête pour de bon, d’ailleurs le direct nous a rattrapés, j’aurais mieux
fait de le prendre. Le signal d’alarme retentissait et il ne se passait rien,
c’était juste un bruit en plus qui me gênait dans ma lecture, c’est pas parce
que c’est foutu qu’on va se laisser sombrer de nouveau dans l’illecture,
comment nommer ce mal dont on a eu bien du mal à se sortir. La littérature
contemporaine vit une crise majeure de sa représentation (et non pas seulement
des livres qui la constituent comme on aurait trop facilement tendance à le
croire), mais surtout il ne faut pas le dire. Avec la même logique que l’école
qui se trouve contrainte par une volonté extérieure à ceux qui la font de
rendre les diplômes plus accessibles aux élèves alors que son ambition
naturelle reste d’amener les élèves aux diplômes, vive les pourcentages de
réussite, la littérature vit et meurt / vit ou meurt dans un cirque annuel de
rentrée puis de prix littéraires, et ça tourne en rond toujours le même
cheval la même amazone déplumée dans le show, sous le regard inattentif des
derniers spectateurs qui à bon droit peuvent se plaindre : ils ont payé
leur place.
Je crois que c’est ça surtout que
je supporte mal en cette saison, entre rentrée et prix : deux spectacles
pour organiser la négation officielle de la fracture, comme disait Jacques,
entre la littérature et son public - non pas tant que celle-ci déplaise à
celui-là : il n’en connaît même plus l’existence. A cela le prix répond
mais si, mais si, voyez comme les gens aiment la littérature ; et comme il
faut que le public aime ce qu’il voit de la littérature, on se met à plusieurs pour
choisir ce qu’on va lui offrir comme image de la littérature, plusieurs
pour parvenir à un consensus, comme ça on est sûr que ce sera un choix
consensuel. C’est d’ailleurs comme ça au départ que les manuscrits sont
choisis, dans les maisons d’édition dont les livres se retrouvent primés :
on se concerte, on prend l’avis de chacun, ça s’appelle un comité, c’est comme
une répétition du prix. Se mettre à plusieurs pour décider d’un livre, c’est le
triomphe quasi assuré de la tiédeur. Chacun ragera de son côté, le jury a un
goût de chiotte, sûr que même ses membres doivent souvent le penser, d’ailleurs,
tiens, So long, Luise n’est dans aucune sélection, sans parler des
livres parus dans de plus petites maisons, qu’est-ce que c’est que ce travail,
on voit bien que ce n’est pas le mien.
Oui, c’est un vrai plaisir pourtant de se réunir pour parler de
littérature, mais prendre une décision à plusieurs concernant un livre, surtout
du genre lequel il est le plus beau lequel il va mieux plaire au public,
franchement, non, quoi. On est d’abord tout seul quand on lit. Rien ne vaut le
coup de cœur d’un lecteur singulier. C’est mon avis et je veux bien le
partager.
"Se réunir pour parler de littérature"? Comme cela est effrayant!On sait à quels résultats mous conduisent en général les réunions. Le consensus qui envoie promener le coup de coeur. Déjà, rien qu'à deux, c'est toute une affaire, que de parler de littérature. Et vous en donnez la raison : "on est tout seul quand on lit". Que faire alors pour sauver la littérature? Et là, je sèche...
RépondreSupprimerEn même temps, en grand optimiste que je suis, j'ai du mal à ne pas penser que ce qui met en danger la littérature la sauve en même en temps.
Supprimer(Très bien ces nouvelles initiales !)
Foutu, foutu, pas si foutu que ça ! Bon, il faut croire que les prix littéraires, qui sont si j'en crois de persistantes rumeurs ; affaire de gros sous, permettent surtout, et c'est déjà ça, aux libraires de survivre (en vendant des livres à gros tirages qui ne seront souvent jamais lus à des personnes - nombreuses - qui bien souvent, de toutes façons, ne les liront pas) pour pouvoir satisfaire (oh joie!) les "coups de coeur du lecteur singulier". Quand à parler de littérature !?... Bien sûr c'est passionnant mais cela peut vite ressembler à un "débat politique" ; chacun reste sur ses positions et rares sont ceux qui se laissent convaincre ou bien changent d'avis - à ce propos; lire ne deviendrait-il pas un "geste politique" alors que bientôt, comme l'a récemment écrit Eric Chevillard (encore !) :" nous finirons par cultiver l’ignorance et l’illettrisme comme des vertus civiques. » ?) - c'est qu'avec la littérature, les livres, les écrivains, c'est de l'ordre de l'intime que ça se joue, et le lecteur entretient avec eux une relation qui, souvent, voir toujours, est de l'ordre de la passion exclusive... Dés lors, comme vous le dites :"...c’est pas parce que c’est foutu qu’on va se laisser sombrer de nouveau dans l’illecture..." d'autant plus que, bel optimisme : "c’est foutu mais ça va bien agoniser pendant, allons, ne soyons pas mesquin, encore un siècle un siècle et demi, peut-être plus." C'est déjà ça !
RépondreSupprimerPlutôt que de "parler de littérature" (souvent maladroit la passion m'emporte), j'aime à lire en partage passage, chapitre ou livre que j'aime à qui j'aime...
RépondreSupprimerAh oui le partage ! Autant l'idée de comité ou de jury me déplaît, autant le partage est une belle chose. C'est parfois même un authentique talent.
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