Il faut que j’écrive un billet
sur un livre merveilleux.
Cette phrase est une
boucle : le caractère merveilleux (que faute de mieux j’appelle
« merveilleux ») de ce livre est aussi la nécessité que j’éprouve de
le dire. On ne va pas rester tout seul à prendre son plaisir comme un harpagon
de la littérature.
Il va falloir donc que je trouve
les mots. Parfois ils me viennent assez spontanément mais quand je veux parler
d’un livre de Gabriel Josipovici, le plus souvent, non. Ou plutôt, ceux
qui viennent ne correspondent pas à ce que je voudrais dire. Je dirais par
exemple C’est le portrait d’un artiste – c’est souvent le portrait d’un
artiste mais en l’occurrence Infini l’histoire d’un moment est
aussi le portrait d’un artiste et puis les mots se détachent, je les considère
et je me rends compte qu’il y a tellement de livres dont je pourrais dire C’est
le portrait d’un artiste, tellement de livres dont j’aurais pu dire ça et
que je n’ai pas forcément aimés que non, ce n’est pas ça, ce n’est pas
l’essentiel de ce que je veux dire.
La question du sujet, le sujet de
l’œuvre qui vient se substituer à l’œuvre elle-même dans le discours du
commentateur, j’en parlais l’autre jour. Donnons un coup de barre pour éviter
l’écueil.
Je pourrais dire que c’est un
dialogue, alors. Moo Pak aussi à sa manière était un dialogue,
vous vous souvenez ? Vous avez lu Moo Pak ? Non ? Vous
devriez. Mais ce n’est pas de Moo Pak que je veux parler aujourd’hui, et
d’ailleurs Infini l’histoire d’un moment n’est pas tout à fait un
dialogue à la manière dont Moo Pak l’était, même si à l’évidence il y a
des affinités entre ces textes. Un narrateur – appelons-le un narrateur, il n’a
pas d’autre nom et il ne raconte rien mais appelons-le un narrateur
puisque c’est lui qui nous rapporte le dialogue et que c’est là aussi le rôle
du narrateur – nous rapporte un entretien qu’il a eu – il est donc aussi
personnage, me direz-vous, il est même le je liminaire ; « Je
lui demandai d’abord » sont les premiers mots de Infini l’histoire
d’un moment, mais c’est un personnage en creux, qui n’a pas de nom et
ne fait dans ce livre rien d’autre que ça : demander. Une sorte de
vortex sous la forme d’un interviewer anonyme, qui ne cesse d’interroger vous
disais-je non pas l’artiste dont le livre, Infini l’histoire d’un moment,
est le portrait, mais son majordome : Massimo. Et la boucle se reboucle.
Car Massimo répond – ou pas, et ce silence aussi reste à interpréter – et les
réponses de Massimo sont un autre dialogue : celui qui a eu lieu, durant
des années, entre son maître et lui. Son maître, c’est un compositeur
d’avant-garde, aristocrate et sicilien, il faut additionner tout cela et bien
plus encore, que le narrateur anonyme et liminaire nous présente, dans le
dialogue qu’il nous rapporte, sous le nom de Tancredo Pavone. Je prends des
précautions. Le dialogue entre le maître et le majordome n’en est pas tout à
fait un : le maître parle et l’autre, qui se défend bien d’être musicien,
écoute. C’est donc cette voix, celle de Tancredo Pavone rapportée par Massimo
rapportée par l’anonyme narrateur liminaire, qui constitue l’essentielle
matière du roman. Du roman qui n’est pas seulement un roman, pas plus que
Tancredo Pavone n’est seulement Tancredo Pavone : une note nous avertit
que « le protagoniste de ce roman » (c’est donc bien aussi un roman)
« est fondé librement sur le compositeur italien Giacinto Scelsi
(1905-1988)… » dont je suis aussitôt allé écouter quelques morceaux sur
Internet, non sans maudire la piètre qualité de mon matériel.
Voilà. J’ai déjà écrit bien trop
de lignes pour qu’on lise ce billet jusqu’ici, si vous êtes toujours là je vous
embrasse, et pourtant je n’ai toujours rien dit, rien vraiment dit encore de ce
livre. Je le savais. Souvent quand un livre est vraiment grand je ne sais dire
que mon incapacité à dire. Quand même : Infini l’histoire d’un moment,
c’est un livre sur la musique qui parle de bien autre chose que de la musique.
C’est un livre qui retrace la vie d’un artiste singulier et qui fait bien autre
chose que de raconter une vie. C’est plutôt un livre sur la vie même. C’est un
livre dont le titre, apparente antithèse, dit à la fois ce que dit le livre et
la manière dont il le dit. Tiens, là, j’ai l’impression d’avoir dit quelque chose
– à moins que ce ne soit lui.
Infini l’histoire d’un moment, de Gabriel Josipovici, est traduit de l’anglais par Bernard
Hoepffner et vient de paraître chez Quidam éditeur.
Je souhaitais, hier, écrire un petit commentaire suite à ce que vous écriviez : "Ne pas lire n’importe quoi n’importe quand. Laissons la bonne lecture s’imposer". Et voilà qu'aujourd'hui vous écrivez "un billet sur un livre merveilleux" (ce dont je ne doute pas au regard de ce que j'ai pu lire, déjà, du dit livre). Mais c'est de "Liquide" dont je voulais vous parlez. Lu dans un murmure, en déambulant dans mon appartement alors que la pluie... La pluie en rafale frappait aux fenêtres. Ce que vous écrivez ce que lisais est ce qui me hante : la mémoire et le temps... Et je ne trouve pas les mots. Je voulais vous parlez d'un livre terriblement merveilleux. Merci.
RépondreSupprimerVous en parlez vraiment bien, avec les mots que vous ne trouvez pas ; merci !
SupprimerPour les Parisiens encore, mercredi 17 février à 19h, Gabriel Josipovici sera l’invité de la librairie Michèle Ignazi, 17 rue de Jouy dans le IVe arrondissement.
RépondreSupprimerEt merci pour l'article,
Bernard Hoepffner
Oui, deux belles rencontres en perspective. (L'homme aussi est passionnant, pour parfaire.)
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