mercredi 19 novembre 2014

Mon jeune grand-père (59)



Voilà. Je ne sais pas quel pataquès j’ai fait avec ces cartes, en tout cas me voici arrivé au début. Au moins ce début n’était-il pas la fin que mes arrière-grands-parents ont crainte jusque-là. La fin n’était pas pour tout de suite. Elle a été différée, le temps quand même qu’Edmond devienne deux fois père, faute d’être jamais grand-père.
Cette carte, de la main d’Edmond, est différente de toutes celles que j’ai recopiées à présent. Sa lecture est aisée. L’écriture n’est pas serrée, contrairement à celles qui suivront, la carte est à l’horizontale. Au lieu du crayon à papier, c’est une encre noire qui tire un peu sur le violet. Edmond s’autorise même une marge à gauche.
Le 21 mai 1916. Dimanche
Mes chers Parents,

Tranquilisez-vous (un l manque) sur mon sort. Je suis sorti indemne de ce terrible combat. Les phrases, très courtes, sont compensées par l’application de l’écriture, dont l’élégance semble là pour rassurer mieux que ne le feraient les mots. Mais je suis prisonnier. Les Allemands ont beaucoup d’égards pour nous, officiers. (Encore une fois, dans la mémoire du petit-fils, des images de la Grande Illusion.) Je ne sais pas encore où l’on nous conduit. A partir d’ici, Edmond réduit ses interlignes, conscient qu’il aura un peu plus à dire qu’il ne le croyait, comme si la possibilité d’écrire appelait l’écriture. J’espère pouvoir vous donner bientôt mon adresse. « Mon adresse ». Il réutilisera dans sa correspondance, on s’en souvient peut-être, cette expression qui sent la villégiature. Surtout ne vous faites pas de mauvais sang. Je vous embrasse bien fort et tout mon cœur (« de » manque). Votre fils qui vous aime bien. EAnnocque

2 commentaires:

  1. "... comme si la possibilité d’écrire appelait l’écriture."
    Très belle phrase d'écrivain.
    "Edmond réduit ses interlignes, conscient qu’il aura un peu plus à dire qu’il ne le croyait,"
    Cela arrive souvent quand on envoie des cartes postales à ceux qu'on aime (cela m'arrive encore), on la commence de notre belle écriture, ample, puis on resserre le tout et pour finir nous remplissons le moindre espace... dans tous les sens. Notre beau texte, celui que nous pensions écrire, devient un brouillamini peu présentable mais... les amis comprendront... que notre coeur a débordé, d'affection.

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    1. Oui, moi aussi je suis coutumier du fait. Je crois vraiment que l'écriture appelle l'écriture, c'est comme une force d'inertie qui nous dépasse.

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