Pour voir, je tape sur Google
« fiction non narrative » mais sans les guillemets. On me renvoie à
non-fiction narrative. Ce n’est pas du tout ce que je cherche, alors je mets
les guillemets, et bien sûr les occurrences se raréfient, surtout si je me
limite à la langue française. On tombe sur quand même des choses intéressantes
où l’on se plongerait volontiers si l’on n’était rattrapé par des nécessités
que pour faire court on qualifiera de temporelles.
Bref, donc. Mais fiction non
narrative, ces mots me parlent puisqu’ils me sont venus. Je vois la chose
un peu partout, y compris dans des romans complètement, assurément, assumément
narratifs. Même Harry Potter, par exemple, dont l’histoire ne
m’intéresse pas tellement depuis que j’ai compris, un peu tardivement certes,
que ce n’était pas vraiment l’histoire d’une école qui n’arrive pas à pourvoir
une chaire professorale, est potentiellement tout plein d’une fiction non
narrative dans sa description d’une école anglaise où les règles sont un peu
différentes – mais à peine – de ce qu’on en connaît par ailleurs. (La vie
quotidienne à Poudlard, sans aventures, j’avoue que j’aime bien. Je ne dois pas
être le seul, à en juger par la traduction française du titre du premier
tome : Harry Potter and the philosopher’s stone devenu plus
prosaïquement ou plutôt moins narrativement Harry Potter à l’école des
sorciers.)
Moins narrativement, mais tout
aussi fictivement. Et lorsque la fiction ose se débarrasser carrément de la
narration, qu’est-ce que cela donne ? Eh bien, par exemple, le Michaux du Voyage
en grande Garabagne ou le même déguisé en zoologue spécialiste de la
darelette ou de l’émanglom dans la Nuit remue, ou bien carrément la
formidable et trop méconnue Botanique parallèle de Léo Lionni,
ou encore, puisque la botanique est une science qui décidément ne fait pas
rêver seulement les botanistes, ce petit livre dont je viens de terminer la
lecture et qui ne saurait lui non plus se classer parmi les genres traditionnellement
recensés : Eloge des arborinidés, de Julien Nouveau,
récemment paru aux éditions Intervalles et qui recense, nous annonce
honnêtement la quatrième de couverture, « des espèces d’arbres
imaginaires, inconnues de nous et pourtant étrangement familières ».
Les lecteurs de ce blog qui se
souviennent de ma présentation de la Botanique parallèle seront
peut-être frappés par la similitude du projet de ce livre avec celui de Léo
Lionni, publié aux éditions des Grands champs. Non seulement les deux ouvrages
traitent de plantes qui n’existent que dans l’imagination des auteurs, mais les
deux vont jusqu’à mimer l’ouvrage de botanique dans son iconographie variée.
Mais les ressemblances s’arrêtent là. Autrement dit : les deux ouvrages
appartiennent au même genre, celui de la fiction botanique ; ils n’en sont
pas moins profondément différents. Léo Lionni pousse la fiction – le faire
semblant – jusqu’à s’effacer le plus possible : dans un ouvrage de
botanique, l’auteur disparaît derrière son sujet. Les différentes voix qu’il
fait résonner (celles du savant, de l’explorateur, de la légende locale)
tendent à gommer l’auteur qui n’est plus qu’un nom sur la couverture. J’aurais
bien aimé faire lire Lionni à Flaubert, tiens. Julien Nouveau, au contraire, pratique
la botanique fictive sur un mode lyrique. Il n’hésite pas à dire je. Sa
voix est celle d’un jeune homme d’un autre temps qui s’émerveille d’un monde où
tout est encore à découvrir. Autour de lui, tout est plein d’âme, dirait le
poète. C’est ainsi que les arbres qu’il décrit sont autant de caractères,
autant de tempéraments. Ce qui me touche – bien loin moi-même d’être insensible
aux sciences –, c’est précisément l’association de cette nature lyrique avec la
science elle-même, qui va jusqu’à rendre nécessaire la présence d’un glossaire
en fin d’ouvrage.
Les premières lignes donneront
une idée de ce à quoi ressemble cet Eloge des arborinidés de Julien
Nouveau (et puis, je l’avoue, j’ai un faible pour cet Arvorebera) :
« L’arvorebera,
« arbre-radeau » – ou medisilha, « arbre-île » –,
fugueur-né, se voue à l’échappée des rives. Il pousse en zones estuariennes,
aux abords des fleuves soumis à l’incessant balancement des marées. Habitant de
berges caressées par l’eau de mer, cet arborinidé est pourvu d’empattements et
de solides contreforts, laissant moins l’impression d’un tronc que d’une
coulure de bois fondu s’étalant sur le sol. Solidement arrimé à la rive qu’il
quittera, l’arvorebera respire pleinement malgré l’ennoiement de son pied,
grâce aux nuées de ses racines aériennes, éparses autour de lui et tombant de
ses branches, ainsi que les figuiers étrangleurs en pluvinent. »
Déjà embarqué avec l’arvorebera
mais sans oublier mes propres notions de botanique, je me permets de préciser
que la respiration de l’arvorebera est sans doute aussi grandement facilitée
par les abondants pneumatophores de ses racines d’abord souterraines avant
d’être sous-marines, où viendront se fixer, au cours de son voyage, d’audacieux
lamellibranches.
Un Nouveau ne peut être que poète (de l'arbre dont on les fait).
RépondreSupprimerUn petit-cousin issu de germain sans doute.
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