Dans
la main avant même de la lire cette carte-ci me frappe par sa couleur,
beaucoup moins jaunie que les
autres. Pourtant c’est le même modèle. Du coup je la retourne, comme
la plupart elle est adressée à Madame Annocque alors que j’ai pu voir
que le texte commençait par le rituel « Mes chers
parents », les indications en allemand sont les mêmes me
semble-t-il, mais oui :
Absender :
Sous-lieutenant Edmond Annocque
Stübe 77a (si je je lis bien)
Offiziergefangenenlager Reisen in Posen
et
une ligne de vagues en dessous. « In Posen », quand même. Je fais la
recherche que je n’avais
pas encore faite, plus pressé de lire le contenu des cartes ; c’est
Poznan, en Pologne, « Posen » en allemand qui n’en avait plus pour
longtemps à rester allemande. Voilà. Mon
jeune grand-père prisonnier en Allemagne était prisonnier en Pologne
mais cette Pologne-là était allemande en 1917 et jusqu’en 18. Je ne
m’en étais pas vraiment soucié. Quand on est emprisonné il
me semble qu’on n’est pas vraiment quelque part.
Le 4 avril 1917. Mes chers parents.
J’ai reçu les cartes de papa des 15, 16 et 17 et la lettre de maman du 18 et aussi une carte de l’oncle
Desmaretz (voilà : c’est le nom de l’oncle que je n’arrivais pas à lire sur la carte du 30 mars. Ça ne me dit rien. Ça ne me
dit rien parce que mon jeune grand-père n’a jamais été grand-père. Même père il ne l’a pas été longtemps.) mais
il n’y a pas de date
dessus. Il me dit qu’il est toujours en bonne santé ainsi que toute
sa famille, à part cela il ne me raconte rien de nouveau. Evidemment « rien de nouveau » résonne à l’oreille du professeur de français qui fait souvent étudier le livre de Remarque.
Le cap B remercie
papa des nouvelles qu’il lui donne. Je comprends que vous ayez été
heureux de la bonne carte du Ct. Il est très gentil d’avoir
répondu lui-même et je regrette qu’il n’ait pu revenir avec nous. (La suite est écrite d’une pointe légèrement moins fine, on
devine qu’Edmond a gommé et réécrit ce passage.) Si
tu lui réponds dis-lui que nous pensons toujours bien à lui et que nous
lui
envoyons nos meilleures amitiés. J’espère que Louis a passé une
bonne permission et qu’il vous sera arrivé en bonne santé. Comme vous
avez dû être tous heureux de sa venue. J’ai fait mes Pâques
ce matin. Un prêtre d’un camp voisin est venu hier et aujourd’hui
c’est tout ce qu’il pouvait, enfin cela vaut mieux que pas du tout. Ici
le beau temps a l’air d’être enfin revenu, quoiqu’il ait
encore neigé cette nuit, mais cette après-midi il fait un beau
soleil on a plaisir à faire de longues flâneries dans le parc. Je n’ai
reçu aucun colis (ici
un ou plusieurs mots sont surchargés en violet sur environ deux
centimètres, on ne peut pas deviner ce qu’il y a en dessous. Ça n’est
pas de la main
d’Edmond puisqu’il écrit au crayon à papier mais je ne vois pas ce
que la censure peut trouver à censurer, peut-être que je manque
d’imagination) pas
trop d’importance pour le moment car nous avons de quoi attendre
quelque temps. J’ai repris les leçons d’anglais qui avaient été
suspendues pendant
quelque temps.
Je vous quitte mes chers parents en vous embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis, Madeleine et
Jean et toute la famille.
Votre fils qui vous aime de tout son cœur. Edmond
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