Didier da Silva
sort un nouveau livre. Pour avoir lu dès leur parution les précédents
et même certains un peu
avant car confessons-le il arrive qu’une estime d’abord toute
littéraire vire à la franche amitié je vous le clame en toute
subjectivité : c’est à chaque fois un événement. Sauf que cette
fois-ci c’est différent, rendez-vous compte : Didier da Silva sort
un nouveau livre ! Et ça change tout : vous avez bien compris que ce
nouveau livre est un livre nouveau. On y
retrouve bien sûr le Didier da Silva que vous aimez déjà – mais oui
vous l’aimez, même si vous ne l’avez pas encore lu ; vous êtes sensible à
sa langue sinueuse et élégante, à sa manière
toute musicale de tenir le ton sur la distance, à son goût de la
promenade quotidienne soudain vertigineuse. Vous reconnaîtrez donc votre
auteur notamment si vous avez l’habitude de fréquenter
ses blogs puisque notre homme en tient deux* : dans l’Ironie du sort aussi il est question de littérature, de cinéma, de musique – d’hécatombes et de crimes : c’est le début de
la nouveauté.
C’est
comme ça en effet que ça commence mais s’il y a vraiment meurtre en
effet et d’horrible façon on notera que le plouf dans
l’eau qui vous aura alerté est celui d’une machine à écrire : on est
bien en littérature. C’est dans le vrai monde cependant que le meurtre a
eu lieu et tous les protagonistes de
l’Ironie du sort sont des personnages réels, comme on dit
un peu vite : Leopold et Loeb furent d’authentiques assassins de même
que Clarence Darrow fut leur avocat avéré ; Erik
Satie, Stevenson, Benjamin Constant, Ryōkan, Philip K. Dick,
Nicholas Ray, et même les frères Bogdanoff ont laissé de leur existence
des traces différentes peut-être mais tout aussi
incontestables (je n’efface pas Igor et Grichka : je les ai vus pour
de vrai) que celles déchiffrées par Champollion ; on aurait de
la peine d’avoir oublié Cortázar et Marcel
Schwob, Morton Feldman et Léon Bloy, sans parler de Henry Howard
Holmes auprès duquel notre Francis Heaulme national passerait presque
pour un enfant de chœur, d’ailleurs il est seul parmi
les précités à ne pas l’être dans l’Ironie du sort, encore que, potentiellement infinie, celle-ci soit propre à contenir l’univers entier.
Je n’ai pas oublié Alfred Hitchcock, sa Corde
d’emblée vous dit comment se nouera sans fin votre lecture :
l’illusion du plan unique cependant y est moins convaincante, c’est
mon avis, que le toboggan spatio-temporel de Didier da, où la
coïncidence est le bumper de flipper qui renvoie le lecteur le
même jour de l’autre côté de l’océan, où bien cent ans en arrière au
même endroit. Car c’est ainsi que se trame la trame narrative de l’Ironie du sort.
La lecture devient vertigineuse
mais le lecteur heureusement est bien accroché à son livre qui le
mène dans un labyrinthe dont il se demande s’il n’est pas construit
selon les plans – démoniaques – du World’s Fair Hotel de
Holmes mais non, il est clair que cette tentative de faire tenir
l’infini en cent cinquante pages doit tout en réalité aux Vexations d’Erik Satie, on pourra lire l’Ironie du
sort huit cent quarante fois de suite, indique sans l’ordonner une note de l’auteur,
Didier nous parle-t-il vraiment d’Erik ? L’excitation est à son comble,
la bille d’acier
(c’est vous), s’affole entre bumpers, kickers et slingshots (mais
qu’ai-je donc à vouloir faire entrer mon flipper dans ce livre où il n’a
que faire), je veux dire par là que les coïncidences
s’accélèrent, ça n’est pas mieux dit mais tant pis, les œuvres
évoquées deviennent l’œuvre elle-même jusqu’au moment où tout se résout
dans un instant de grâce que jalousement je garde encore
pour moi.
Ce sont les excellentes éditions de l’Arbre Vengeur qui ont eu la belle idée et la bonne fortune de publier l’Ironie du
sort.
* Les Idées heureuses et Halte là.
PS Moi aussi j'ai vu Igor et Grichka pour de vrai. Deux fois, même.
(Beau billet Pha)
(et merci !)