Allez, je vais essayer de mettre quelques mots sur, non, pas sur le livre de Bruce Bégout comme j’allais
maladroitement l’écrire, mais juste sur ma lecture de l’Accumulation primitive de la noirceur.
Ce sera donc un billet sous le signe du manque car figurez-vous
qu’étrangement c’est la première fois que je lis un livre de Bruce
Bégout – mais assurément pas la dernière. Il me manque donc tout ce
qu’il a déjà écrit et qui pourrait, qui devrait déjà
résonner dans ma lecture. Le manque lui-même cependant déjà y
résonne. Car ce livre, qui ressemble à un recueil de nouvelles, ou qui
se présente comme un recueil de nouvelles si vous voulez,
paraît reposer sur ce qui n’est pas dit, ce qui peut-être n’est pas
dicible, ou bien peut-être tout simplement ce qui n’est pas. Allez savoir.
Comme l’écrit Claro sur son
Clavier, pas de chute à la fin des nouvelles de Bégout ; en
effet on n’est pas là pour faire des pirouettes. Pas de chute, c’est
vrai, mais souvent, quand même, un trou. On ne peut pas
tout vous dire, bien sûr, vous risqueriez de ne pas tomber dans le
trou et ce serait dommage, mais tout de même, puisqu’il y a une table
des matières à la fin, est-ce vraiment spoiler que
d’attirer l’attention sur le titre de la nouvelle (mais est-ce à
proprement parler une « nouvelle » ?) dont je vous citais l’autre jour un minuscule extrait, à savoir Figures de Lichtenberg ?
J’étais content en lisant ce texte de me
souvenir, certes assez vaguement, de ce qu’est une « figure de
Lichtenberg » sans avoir fait jusque là le rapprochement avec le fameux
« couteau » du même. Voilà qui est
fait.
Ainsi
sont donnés comme des réalités des objets, des événements qui attendent
une explication, laquelle nous est refusée, ou
remplacée par quelque chose que nous nous refuserions à accepter
comme une explication alors que voilà, c’est comme ça. Mince. C’est le
cas par exemple dans la nouvelle (mais encore une fois,
est-ce une « nouvelle » ?) intitulée Déportation, une exagération. Mais non je ne vais pas vous raconter la fin de ce récit qui n’est pas une nouvelle mais très clairement
autre chose – c’est écrit dans le titre et annoncé dans le paragraphe liminaire : une exagération. Genre nouveau à ma connaissance dont Bruce Bégout devrait réclamer le brevet, ça
donne envie d’en écrire.
C’est bien du monde que Bégout nous fait le portrait et nous le reconnaissons soudain pour ce qu’il est : un monde sans.
Une nothing box qu’on finit par admettre. Une jeune fille
au pair qui n’en est pas une. Un monde où certains se livrent à
d’étranges pratique, tel le Suiveur, qui suit les gens
et fait de cet exercice un art (au point qu’à un moment je me suis surpris à lire écrire au lieu de suivre).
Un monde sans élucidation, donc. Elle nous est refusée. La noirceur
serait-elle aussi obscurité ? L’élucidation n’est pas cachée à
proprement parler, ce qui supposerait qu’elle existerait hors de notre
compréhension ; c’est comme ça qu’on se consolait
autrefois. Non : elle nous est refusée sans que l’on sache si oui ou
non elle existe. La noirceur est plus noire que l’ombre. C’est comme ça
et c’est pour ça que tout se termine dans un
monstrueux éclat de rire – mais le titre de l’ultime récit nous le
dit : cette hilarité sans cause n’aura pas d’autre nom que la Maladie du rire.
L’Accumulation
primitive de la noirceur de Bruce Bégout est parue en janvier 2014 chez Allia.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire