Attendez
au fait il faut que je vous raconte ma soirée d’hier, quand même. Alors
voilà, je suis sorti de la gare, mais il y
avait deux sorties à l’opposé l’une de l’autre et je ne savais pas
laquelle prendre parce que je ne savais pas qu’il y avait deux sorties à
l’opposé l’une de l’autre, avant, avant de les voir,
ces deux sorties à l’opposé l’une de l’autre, mais alors
complètement à l’opposé, on ne peut pas faire plus à l’opposé : l’une
complètement à droite et l’autre complètement à gauche ;
et entre les deux un long tunnel piéton large presque, non, pas
comme une autoroute mais presque, avec des gens qui marchaient dans les
deux sens. Mais quand même il y en avait un peu plus qui
allaient vers la droite, enfin, vers la droite par rapport à ma
position à moi, c’est entendu, eux ils ne devaient pas avoir tellement
l’impression d’aller vers la droite mais pour moi ils
allaient vers la droite. Alors je suis allé vers la droite, pour
faire comme eux, la majorité, ceux qui allaient vers la droite, sauf que
moi j’avais conscience d’aller vers la droite alors
qu’eux, je ne sais pas. Ça faisait une différence. L’autre
différence c’est qu’eux ils savaient où ils allaient, ça se voyait à
leur manière d’y aller, les gens ont une manière d’aller où ils
savent qu’ils vont qui ne trompe pas, vous avez dû remarquer ça
aussi. Moi ça devait se voir aussi que je ne savais pas où j’allais,
sauf qu’il n’y avait personne pour le voir. Et puis j’avais un
peu de mal à ne pas faire comme eux : faire semblant de savoir où
j’allais – même si eux, bien sûr, ne faisaient pas semblant. Rien ne
m’autorise à penser qu’ils faisaient semblant.
Du
coup je me suis retrouvé dehors. Dehors c’était une place ronde,
demi-ronde plutôt, qui n’avait pas de nom visible ; il
faut dire que la nuit commençait à tomber. Et alors là les gens,
sans cesser d’avoir l’air de savoir où ils allaient, se sont mis à
partir dans des directions différentes, parce qu’il y avait des
rues, je dis des rues pour simplifier parce que ça ne ressemblait
pas vraiment à des rues mais enfin c’était des endroits où l’on pouvait
marcher, des directions, et il y en avait plein de
différentes. Pourquoi qu’il demande pas son chemin, que vous vous
dites, eh bien si, j’ai demandé mon chemin, à une jeune femme, car la
plupart des gens étaient des femmes, je m’en suis rendu
compte à ce moment-là, et la plupart étaient jeunes, ça n’a aucune
importance mais c’est comme ça. Alors elle m’a indiqué une direction,
sans hésiter, la jeune femme, elle m’a dit que c’était
par-là. Je l’ai remerciée et j’ai suivi la direction indiquée, j’ai
oublié de vous dire qu’il pleuvait, mais peut-être que c’est précisément
à ce moment-là, quand j’ai commencé à suivre la
direction indiquée, pas qu’il s’est mis à pleuvoir, non, il pleuvait
déjà avant, j’en suis quasi certain, mais que j’ai commencé à trouver
que ça aurait été mieux s’il n’avait pas plu. Parce que
j’étais mouillé. Le fait de ne pas avoir beaucoup de cheveux sur la
tête est à la fois un avantage et un inconvénient, quand on marche sous
la pluie. Ce qui est pratique, c’est que dès qu’on
trouve un abri, on s’essuie la tête une fois, deux fois, elle est
sèche. En revanche, quand on est sous la pluie, les cheveux n’arrêtent
pas l’eau qui ruisselle sur le front, on en a plein la
figure.
A
un moment j’ai vu une enseigne, très haut sur un immeuble qui était
peut-être un parking à étages, mais dans le noir avec
cette pluie c’était difficile de voir, d’autant plus que j’avais
plein de gouttes à l’extérieur de mes lunettes et plein de buée à
l’intérieur. La visibilité était mauvaise. Je n’arrivais pas
bien à lire ce qui était écrit. Pourtant elle était énorme, cette
enseigne – c’était une enseigne lumineuse, hein. Elle était énorme mais
il y avait des branches d’arbres qui cachaient un peu les
lettres, attends, si je fais encore quelques mètres je vais mieux
voir, « re… », « rre… »… J’ai fait les mètres qui manquaient et
c’étaient des mètres mouillés, des mètres qui
me mouillaient mais finalement j’ai fini par lire « rrefour ».
C’était écrit « rrefour ». Alors j’ai compris que c’était Carrefour,
mais le problème c’est que c’était juste
rrefour et que ça n’était pas bon signe. Je me suis quand même
engouffré dans l’immeuble qui était probablement un parking à étages,
parce que là il n’y avait rien de prévu pour les piétons, mais
je m’y suis engouffré quand même parce que j’en avais marre d’être
mouillé. A droite il y avait une station-service. Dans le parking. Ça
n’était pas bon signe. J’ai traversé tout l’immeuble,
pardon, le parking parce que peut-être que de l’autre côté je
verrais quelque chose, et j’ai vu que derrière il n’y avait rien à voir
mais qu’il pleuvait aussi. J’ai tourné à droite, parce qu’il
y a une force qui m’empêche souvent de faire demi-tour, pas toujours
mais souvent, j’ai tourné à droite sous la pluie et là vraiment il n’y
avait personne et il n’y avait rien. Au bout de la
droite, quand même, enfin, à l’angle du parking-immeuble il y avait
une avenue pour les voitures, une quatre voies, ça pouvait peut-être
servir de point de repère, surtout que je me suis rendu
qu’elle était parallèle à la voie de chemin de fer, juste de l’autre
côté. J’ai longé l’avenue sur la droite encore, à force c’était quand
même une manière de faire demi-tour mais sans avoir
l’air de faire demi-tour, et je me suis retrouvé en dessous d’une
longue passerelle couverte, qui traversait l’avenue et même la voie de
chemin de fer derrière. C’était un moyen de passer de
l’autre côté. Parce que vous avez compris que depuis quelque temps
déjà je nourrissais le soupçon que je n’aurais pas dû prendre la sortie
de droite, à la gare, mais plutôt celle de gauche.
Avisant un escalator qui descendait de la passerelle, j’ai pris
l’escalier qui, lui, montait aussi bien qu’il aurait descendu le cas
échéant.
Honnêtement
cette passerelle était un havre de paix. Peut-être même que l’idée de
m’installer là, d’une manière plus ou moins
définitive, m’a traversé l’esprit. Une fraction de seconde. Car il
fallait que j’aille de l’autre côté, et elle était longue, cette
passerelle couverte, avec son linoléum marron, un vrai délice.
On pouvait marcher à grands pas, là-dedans, là-dessus, d’un air
dégagé. Arrivé au bout, j’ai vu que je n’y étais pas : après un
étranglement qui obligeait à bifurquer légèrement vers la
droite il y avait une autre passerelle, ou était-ce la même encore,
qui permettait de poursuivre la traversée, un vrai bonheur. D’autant que
de l’autre côté, peut-être, pourquoi pas, j’allais me
retrouver quelque part !
Je
suis arrivé au bout de la passerelle. Un escalier large et arrondi, un
peu solennel, permettait d’atteindre le sol. On était
dehors de nouveau, il pleuvait toujours, j’étais au centre d’une
place demi-ronde, une autre bien sûr, mais demi-ronde aussi, sauf qu’il y
avait moins de directions, et moins de gens que tout à
l’heure, tout à l’heure sur l’autre place demi-ronde. Il était clair
que j’étais encore moins quelque part que tout à l’heure. Ça se
sentait. Peut-être que pour sortir de la gare, c’était bien la
sortie de droite qu’il fallait prendre, celle que j’avais prise.
J’ai voulu demander mon chemin, et comme je pensais remonter l’escalier
solennel pour retraverser la passerelle, un peu de bonheur
en perspective, j’ai demandé mon chemin à une jeune femme,
décidément les gens sont des femmes, et elles sont jeunes. Elle savait
où elle allait elle aussi et même où j’allais, bien mieux que moi
en tout cas, et en effet il fallait que je retraverse la passerelle.
Alors j’ai retraversé la passerelle, au milieu il y avait des jeunes
gars qui entraînaient leur chien à mordre, je comprenais
leur bonheur. J’ai bifurqué vers la gauche cette fois au niveau de
l’étranglement, forcément, attendez, non, c’était encore vers la droite,
ne me demandez pas pourquoi, j’ai bifurqué pour
continuer sur l’autre passerelle qui était peut-être la même. Et
puis au moment où j’allais arriver au bout, je me suis dit que ce serait
trop bête de redescendre par où j’étais monté, surtout
qu’il y avait une autre descente, abritée celle-là. Je suis descendu
par ce nouveau chemin, l’audace au cœur, et je me suis retrouvé dans un
vaste couloir souterrain, et maintenant que vous me le
demandez eh bien oui, vous avez sans doute raison : c’était sûrement
le tunnel pour sortir de la gare, avec ses deux sorties opposées. Je
suis en effet sorti par où j’étais sorti d’abord et
je me suis retrouvé sur la même place demi-ronde, la première, que
je préférais à l’autre maintenant, elle avait pris quelque chose comme
un caractère familier, je reconnaissais le marchand de
sushis que j’avais à peine remarqué la première fois.
C’était
là que j’avais demandé mon chemin la première fois, et de nouveau j’ai
demandé mon chemin, à un jeune homme cette fois,
car il n’y a quand même pas que des jeunes femmes même si elles sont
largement majoritaires ; il n’y avait d’ailleurs aucune raison
particulière à ce que je demande mon chemin à un jeune
homme plutôt qu’à une jeune femme, si ce n’est qu’il était le plus
proche de moi à ce moment, d’ailleurs quand il a commencé à me répondre
et que la jeune femme qui l’accompagnait, car il y en
avait une, l’a devancé pour m’indiquer ma direction, qui n’était pas
celle de tout à l’heure, ce qui s’expliquait d’autant mieux que je
n’avais pas demandé la même chose, j’ai immédiatement pris
la direction indiquée par cette nouvelle jeune femme ; il s’agissait
de marcher dans une de ces rues qui n’en sont pas vraiment, je trouvais
cela étrange de marcher là mais je n’étais pas le
seul, d’autres personnes y marchaient aussi, sur le sol inondé,
notamment le jeune couple qui m’avait renseigné, c’était encourageant,
d’ailleurs en effet à un moment j’ai vu la croix verte d’une
pharmacie qui clignotait au-dessus d’un feu tricolore, car il y
avait un carrefour, et cette fois c’était bon signe.
Commentaires
au carrefour des emmêlements, les pinceaux s'activent...
Commentaire n°1
posté par
Dominique Hasselmann
le 14/09/2013 à 19h16
Et après il a fallu les laisser sécher.
Réponse de
PhA
le 15/09/2013 à 19h41
Attendez-moi, je vous suis....
Commentaire n°2
posté par
Michèle
le 14/09/2013 à 19h42
Risque-tout !
Réponse de
PhA
le 15/09/2013 à 19h41
Je t'avais dit à gauche !
Commentaire n°3
posté par
tor-ups
le 14/09/2013 à 21h10
Tu n'avais rien dit ! (d'ailleurs finalement c'était à droite)
Réponse de
PhA
le 15/09/2013 à 19h42
Et tout s'éclaire : voilà pourquoi je ne t'ai pas vu cet après-midi : tu étais retenu ailleurs !
Commentaire n°4
posté par
L'employée aux écritures
le 14/09/2013 à 21h48
Et même très retenu. C'était bien, la Fête ?
Réponse de
PhA
le 15/09/2013 à 19h43
Vous avez bien fait de prendre à droite de la sortie de gauche,
évitant ainsi de vous fouvoyer dans la sortie droite du parking. Bien
joué.
Commentaire n°5
posté par
AppAs
le 15/09/2013 à 02h39
J'ai fait fort, j'en ai conscience.
Réponse de
PhA
le 15/09/2013 à 19h44
On dirait...la gare Montparnasse.
Commentaire n°6
posté par
Lza
le 15/09/2013 à 09h45
Oh la la, c'est bien pire. Quand on sort de la gare Montparnasse, au moins, on est dans une ville.
Réponse de
PhA
le 15/09/2013 à 19h45
Ca c'est du ANNOCQUE pur, que j'adore!
Commentaire n°7
posté par
Ambre
le 17/09/2013 à 18h02
Ça me donne envie de me relire, tiens !
Réponse de
PhA
le 17/09/2013 à 19h04