Adrien,
père de deux enfants virgule trois – en comptant sa belle-mère à charge
un tiers du temps –, perçoit net d’impôts, comme
courtier en assurance-vie, de quoi sustenter une famille de paysans
mandchous, jusqu’en l’an deux mille trois cent quatre-vingt-dix-huit de
notre ère. Ce n’est pas une image en l’air, mais le
fruit d’obsédants calculs mentaux. Compilateur précoce de
statistiques, l’éternel adolescent Adrien n’a cessé d’exposer son QI à
tous les télé-Quiz, tests et QCM des magazines, sans méconnaître
aucun des 38 000 mots-clefs du Quid. Génie incompris de ses
proches et fumeur compulsif, il n’existe plus que par hypothèses
déclinées en séries : « Si l’on mettait bout à bout
toutes les cigarettes fumées depuis mon quinzièmes anniversaire
(soit 9 centimètres multipliés par 20 clopes à raison de 365 fois 1
paquet et demi pendant 22 annuités complètes), on obtiendrait
une ligne continue de 21 kilomètres, soit le chemin parcouru par une
fourmi rouge d’Afrique australe en 72 heures, soit encore la distance
moyenne séparant le lieu de travail du cadre supérieur
californien de son lieu de résidence, soit aussi la hauteur cumulée
par empilement vertical de 28 tours Eiffel, soit en outre l’écart-type
entre deux accidents auto- mobiles sur l’autoroute
Paris-Lyon pendant le week-end de la Toussaint, ainsi que la mesure
obtenue par l’étalement des intestins grêles de 336 victimes d’homicides
annuels en France métropolitaine… »
Soit, etc.
Tant et si bien qu’on n’en finirait plus de démêler l’écheveau de ces analogies comptables. On fera seulement l’hypothèse que,
parmi tant de choses égales par ailleurs, Adrien compte pour si peu que rien.
Yves Pagès, Portraits crachés,
Verticales, 2013 (nouvelle édition augmentée).
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