C’est après cette soirée-là que ça a commencé véritablement. Enfin qu’il y a eu un autre commencement dans ma vie. Encore un, ou
une autre fin, et puisqu’il faut dater, disons seulement que c’est du lendemain de cette soirée que date cette histoire.
Une histoire de dictionnaire qui était à moi et pas à elle et qu’elle n’avait jamais touché jusque-là, du moins je l’avais
cru.
Il était rangé sur le buffet. Je le cherchais pour vérifier un mot. Ça m’a toujours semblé important d’avoir la certitude des
mots, parce qu’il n’y a de vérité que dans la définition et qu’elle est décidée par ceux qui ont réfléchi.
Il était à moi après tout ce dictionnaire et impossible de le retrouver ce matin-là., j’en avais pourtant besoin tout de suite.
Aussi pour lui parler d’elle, de sa mélancolie, de sa bile noire qui la poussait à la tristesse, ce qui n’avait pas de lien avec ce qui se passait entre nous.
Plus
de dictionnaire. J’ai cherché un temps, couru à brides abattues du
bahut à la cheminée, j’ai grimpé quatre à quatre
l’escalier jusqu’à la chambre, j’ai cherché encore un peu près de
mon fauteuil, sous les journaux. Je lui ai demandé ce qu’elle en avait
fait, ce qu’elle pouvait bien aller y voir. Alors qu’elle
n’y voyait rien.
Elle est allée me le chercher, dehors, sur le perron, près d’une chaise où elle s’asseyait tous les jours, au moins quelques
minutes, avant ma sieste.
Là, devant moi, maintenant, la brique de poussière et de feuilles, la couverture humide, molle, les pages cornées en plus, mon
dictionnaire foutu. Je déteste ce genre d’intrusions physiques entre les mots. Elle me regarde, perplexe, qui ne sait que penser,
autrement dit. « Les mots ne sont pas qu’à
toi », dit-elle à se contorsionner devant moi, les mains pétrissant
les mains et puis l’une sur son front, le grattant, l’index maintenant
sur sa bouche, c’est propre, comme ceux qui ont
besoin de se mouiller le doigt pour faire tourner les pages.
Le
dictionnaire est sur la table. Le partage me le rend étranger, inapte à
la rencontre. J’ai l’impression qu’il est plus abîmé,
habité d’Irène, confisqué en partie. Alors, c’est de l’émotion,
mauvais par conséquent pour moi. Je voudrais ces mots à moi, à moi seul,
des mots fixes, pas ceux qui bougent dans sa
bouche.
Pas
ceux qu’elle remue et tripatouille, qu’elle lance sans bien savoir où
ils vont, peu soucieuse du sérieux qui les grève,
comme s’il nous était possible de les connaître ensemble et de les
utiliser dans une communauté d’union. Quoi d’union ? D’où me vient cette
idée ? Voilà, je me débats comme elle. Filant
des mots, non les mots ne filent pas, c’est elle qui croit qu’ils
filent, elle la compliquée. Moi, la phrase je la construis, j’y pense,
elle a du sens, c’est simple. Celle-là met les mots les
uns à la suite des autres et elle attend. Enfin… si elle faisait un
tout petit peu l’effort de construire, je comprendrais, tout, tout ce
qu’elle dit parce qu’il y aurait une direction. Une
majuscule et un point, un commencement et une fin.
Maintenant,
elle prend le dictionnaire mais pour quoi faire ? Quoi faire Irène du
dictionnaire ? Je demande. Ce n’est
pas une question. Je recommence : quoi faire du dictionnaire, Irène,
sans tes lunettes, les petits caractères et le latin que tu soulignes,
l’histoire du mot ?
Catherine Ysmal, Irène, Nestor et la
vérité, Quidam, 2013, p. 83-85, c’est là que j’en suis, vous pouvez lire un peu par-dessus mon épaule, ça vaut la peine.
Post-scriptum.
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