monsieur
B. aime bien manger une tranche de pain jambon beurre. surtout le soir
une tranche de pain jambon beurre lui fait
presque perdre la tête. aussi dix tranches de pain jambon beurre
c’est bien peu. il peut même arriver que monsieur B. dise à sa femme
assise en face de lui qu’il prendrait bien une autre tranche
de pain jambon beurre. ce qui explique que monsieur B. reçoit de sa
femme depuis plusieurs douzaines d’années le soir arrivant quelques
innombrables tranches de pain jambon beurre. toujours la
même question que pose sa femme sans interruption depuis des
douzaines d’années, à savoir si cette fois il ne préfère pas davantage
se mettre un morceau de rôti de veau sous la dent, ce que
monsieur B. ne tolère évidemment plus. aujourd’hui aussi c’est le
soir. monsieur B. a tout juste soixante-dix-huit ans et engouffre à
l’instant sa sixième tartine de pain jambon beurre. après
consommation expresse de sa sixième tranche voilà que monsieur B.
demande à sa femme avec le manque d’égards habituel de lui servir une
septième tranche de pain jambon beurre. conforme à toute
attente sa femme objecte, est-ce que cette fois du moins il ne
préfère pas se mettre un morceau de rôti de veau sous la dent. monsieur
B. naturellement se défend bien d’une telle allégation, et
tient en toute logique à sa septième tranche de pain jambon beurre. à
l’instant sa femme a précisément jour pour jour trois ans de moins que
monsieur B. même s’il n’y a rien de spécial à tout
cela, et bien voilà qu’aujourd’hui il n’y a plus de jambon. la femme
se retire dans la cuisine n’en ressort plus, tandis que monsieur B.
s’apprête à utiliser ses injures favorites. voilà donc,
monsieur B. qui gigote d’avant en arrière remue sur sa chaise,
tandis que sa femme perd tous ses moyens. monsieur B. menace d’exploser
de colère. par mesure de précaution sa femme évite de le
tenir informé que le jambon n’est plus à la maison. jamais de
disputes dans ce ménage. vraiment monsieur B. a l’habitude d’aimer
tendrement sa femme et se résigne donc pour ce soir à sa sixième
tranche de pain jambon beurre et renonce bon et brave à sa septième
tranche de pain jambon beurre. c’est ce qu’il dit à sa femme, qui enfin
se risque hors de la cuisine. tandis que monsieur B. et
sa femme sont à nouveau réunis paisibles autour de la table, voilà
que tout à coup elle lui tape sur la tête. monsieur B. ne s’est jamais
montré mesquin de sa vie. même s’il a l’habitude d’aimer
tendrement sa femme, là pour de bon il n’est plus disposé à renoncer
à la septième tranche de pain jambon beurre, ce que d’ailleurs il
manifeste à sa femme. après le coup sur la tête de monsieur
B. voilà monsieur B. et sa femme assis de nouveau à table, quand sa
femme se lève et par-dessus la table encore une fois tape sur la tête de
monsieur B. sur quoi monsieur B. décide de noyer sa
femme dans la baignoire remplie à cet effet. dans ce but se lève de
la table pour la première fois de la soirée et tire sa femme de la
chaise au sol. couchée à même le sol, il étend alors ses
longs bras et porte sa femme jusqu’à la salle de bain. arrivé là-bas
monsieur B. lâche sa femme dans la baignoire et retient d’une main
experte tendue comme pour se défendre la tête au fond de la
baignoire. environ quelques minutes plus tard sa femme rend l’âme
par suite de noyade.
Michael Lentz, Mourir de mère, Quidam, 2011, p. 127-128.
Raconter autre chose pour retarder encore ce qui finira par se dire quelques pages plus loin : Muttersterben, Mourir de mère. Un article de Jean-Baptiste Harang dans le Magazine littéraire, un autre de Jacques Josse sur Remue.net.
Michael Lentz, Mourir de mère, Quidam, 2011, p. 127-128.
Raconter autre chose pour retarder encore ce qui finira par se dire quelques pages plus loin : Muttersterben, Mourir de mère. Un article de Jean-Baptiste Harang dans le Magazine littéraire, un autre de Jacques Josse sur Remue.net.
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