15 - Solo
quand j’étais petite j’entendais Encore un qui va qui va bouffer les pissenlits par la racine. Les pissenlits, je voyais bien ce que c’était, j’en donnais aux lapins de mémé, j’allais en cueillir le long de la maison. Les lapins adoraient les pissenlits, mais les morts ? Je ne savais pas pourquoi les morts devaient en manger. J’étais petite, j’avais déjà compris que les morts étaient morts, étendus dans une grande boîte, sous la terre, et qu’ils ne bougeaient plus, les morts, qu’ils ne respiraient plus, qu’ils ne pensaient plus. Ils dormaient et chaque seconde de leur sommeil durait mille ans. Parfois, dans mon lit, je m’entraînais à être morte, je plaquais mes bras le long du corps, je ne bronchais plus, je retenais ma respiration, j’étais morte, puis je n’en pouvais plus, je respirais un grand coup et redevenais vivante. J’arrivais bien à être morte, sauf pour les pensées, je ne parvenais pas trop à ne plus penser, souvent je ne pouvais pas m’empêcher de compter les secondes où j'étais morte…
Le coup des pissenlits, je ne comprenais pas, pourquoi les morts devaient-ils en manger ? Comme les lapins de mémé.
A force de réfléchir, j’ai commencé à faire des cauchemars, j’étais dans le noir, je ne pouvais pas bouger les bras ni les jambes, j’étais serrée de toutes parts et, là, des pissenlits me tombaient sur le visage, des pissenlits par kilos, avec de la terre sur les racines, des fleurs, et je devais les bouger, les bouffer pour éviter de m’étouffer, des pissenlits plein le visage, sur les yeux, dans les narines, ils me submergeaient, je me noyais dans les pissenlits, je ne pouvais pas m’aider de mes mains, ils allaient m’étouffer si je ne les mangeais pas, j’en avais la bouche remplie, et bien sûr, je perdais la partie, à un moment un haut le cœur terrible me prenait, je savais que je ne pouvais plus avaler, je ne supportais plus le goût de la terre, la fadeur des tiges, j’allais écouter, étouffer.
Eric Pessan, Dépouilles, Editions de l’Attente, 2011, p. 85-86.
quand j’étais petite j’entendais Encore un qui va qui va bouffer les pissenlits par la racine. Les pissenlits, je voyais bien ce que c’était, j’en donnais aux lapins de mémé, j’allais en cueillir le long de la maison. Les lapins adoraient les pissenlits, mais les morts ? Je ne savais pas pourquoi les morts devaient en manger. J’étais petite, j’avais déjà compris que les morts étaient morts, étendus dans une grande boîte, sous la terre, et qu’ils ne bougeaient plus, les morts, qu’ils ne respiraient plus, qu’ils ne pensaient plus. Ils dormaient et chaque seconde de leur sommeil durait mille ans. Parfois, dans mon lit, je m’entraînais à être morte, je plaquais mes bras le long du corps, je ne bronchais plus, je retenais ma respiration, j’étais morte, puis je n’en pouvais plus, je respirais un grand coup et redevenais vivante. J’arrivais bien à être morte, sauf pour les pensées, je ne parvenais pas trop à ne plus penser, souvent je ne pouvais pas m’empêcher de compter les secondes où j'étais morte…
Le coup des pissenlits, je ne comprenais pas, pourquoi les morts devaient-ils en manger ? Comme les lapins de mémé.
A force de réfléchir, j’ai commencé à faire des cauchemars, j’étais dans le noir, je ne pouvais pas bouger les bras ni les jambes, j’étais serrée de toutes parts et, là, des pissenlits me tombaient sur le visage, des pissenlits par kilos, avec de la terre sur les racines, des fleurs, et je devais les bouger, les bouffer pour éviter de m’étouffer, des pissenlits plein le visage, sur les yeux, dans les narines, ils me submergeaient, je me noyais dans les pissenlits, je ne pouvais pas m’aider de mes mains, ils allaient m’étouffer si je ne les mangeais pas, j’en avais la bouche remplie, et bien sûr, je perdais la partie, à un moment un haut le cœur terrible me prenait, je savais que je ne pouvais plus avaler, je ne supportais plus le goût de la terre, la fadeur des tiges, j’allais écouter, étouffer.
Eric Pessan, Dépouilles, Editions de l’Attente, 2011, p. 85-86.
Plutôt qu’un texte sur la mort, Dépouilles est un texte sur les morts, ce qui se dit autour des morts – autour de leurs
dépouilles. Et si le texte est drôle souvent, presque
bouffon dans certains passages, c’est parce que c’est la pertinence même
de la parole qui est remise en question – tandis que le
silence non plus n’est pas possible.
Commentaires
Philippe, que la mort en littérature intéresse, une info : Lydia
organise en mars une soirée "mortelle" dans sa librairie. Si ça
t'intéresse, faut t'inscrire (et vite car peu de places
et souvent plein). Si tu veux, je t'envoie le carton d'invitation
en privé ?
Commentaire n°1
posté par
Pascale
le 29/01/2012 à 17h35
Mais oui, avec plaisir !
Réponse de
PhA
le 29/01/2012 à 17h55
Posté. Organisé avec (entre autre) la comédienne Claudine Guittet,
elle était venue nous écouter à la jardinerie de Chevreuse, tu ne t'en
souviens peut-être pas... viens et tu verras, tu la
reconnaitras !
Commentaire n°2
posté par
Pascale
le 29/01/2012 à 18h12
Merci ! Si je peux je viens.
Réponse de
PhA
le 31/01/2012 à 13h07