Il
se hisse sur la pointe des pieds pour les photos. C’est comme ça depuis
toujours. Sur la photo de classe, à l’école,
déjà. L’institutrice voulait qu’il soit assis, au premier rang, avec
les petits, mais lui ne voulait jamais. Il préférait être debout, et
pour qu’on le voie mieux, il avait même, une fois, réussi
à cacher un dictionnaire dans sa veste pour le glisser sous ses
pieds juste avant la photo, ni vu ni connu. A partir de ce jour-là les
autres l’avaient surnommé Littré, parce qu’ils disaient
qu’il aurait fallu tous les volumes du Littré pour le hisser à la
hauteur des plus grands. Seulement lui n’aimait pas les livres, à part
pour grimper dessus. Seulement lui n’avait pas beaucoup
d’amis, parce qu’il essayait toujours d’amadouer les maîtresses
d’école, pour leur faire oublier qu’il n’était fort ni en orthographe ni
en langue française, leur ramenant toujours un bouquet de
fleurs au printemps ou de glands en automne. D’ailleurs souvent il
se faisait traiter de gland aussi. Parce qu’il essayait toujours de
capter l’attention en disant n’importe quoi, comme par
exemple qu’un jour il serait roi et les ferait tous mettre en
prison, les moqueurs et les institutrices, ça leur apprendrait. (…)
Cécile Beauvoir, Ce vieil air de blues, « Petit garçon », p. 25-26, Le temps qu’il fait, 2011.
Un recueil de récits d’instants qui ne prennent chacun qu’un instant à lire – mais qui résonnent encore un peu plus d’un
instant.
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