jeudi 13 octobre 2011

pour une gestion plus intelligente des trucs


Oui, je sais, je m’en plaignais déjà hier soir, aujourd’hui ce n’est pas mieux, de tous ces trucs, toute cette abondance de trucs, cette invasion de trucs partout, partout, plein, plein de trucs partout, des trucs à foison, toute une profusion de trucs dont on n’a que faire.
Autrefois, oui ma bonne dame, il n’y avait pas tant de trucs. Bien sûr, je sais, ça fait un peu passéiste, de dire ça, un peu réac même ; mais quand même, je m’en souviens bien, vous ne me ferez pas dire le contraire : autrefois, il n’y avait pas tant de trucs.
Autrefois, mais oui, il y avait bien quelques machins, par ci par là, un peu éparpillés ; mais c’était presque une distraction, quoi. Pareil pour les trucs. On ne peut pas dire qu’il n’y en avait pas ; mais ce n’était pas l’invasion comme maintenant.
Autrefois, certains trucs étaient même recherchés. Il y a longtemps – c’était avant ma naissance – mes parents, une fois, je crois que c’était pendant les vacances, ils sont partis chercher un truc. Ils ont embarqué dans la voiture tous mes frères et sœurs (mais pas moi, je n’étais pas encore né), tous mes frères et sœurs qui étaient encore tout petits, et ils sont partis chercher un truc, pas n’importe quel truc, le Truc, que ça s’appelait ; ils avaient envie de voir ça, le Truc, on les comprend, moi aussi j’aurais bien aimé voir le Truc, mais je n’étais pas né, pas encore. Enfin, je n’ai pas trop de regrets à avoir, car ils ne l’ont jamais trouvé, le Truc. Pourtant ça valait la peine, il paraît, il y a des gens qui le leur avaient dit, « allez donc voir le Truc, ça vaut le coup ». Mais vous savez comment les trucs sont indiqués, ils ont cherché, cherché, ils se sont perdus un peu, il y avait tous mes frères et sœurs qui devaient pleurer dans la voiture (moi je n’étais pas encore né), enfin bref ils ne l’ont jamais trouvé, le Truc.
Tout ça pour dire que c’était vraiment une autre époque. Qui donc aurait l’idée d’aller chercher un truc, maintenant ? A peine t’es-tu levé de ta chaise que déjà tu buttes sur quatre ou cinq trucs dont tu te demandes bien ce qu’ils font là. Tu ne sais même pas d’où ils viennent. Ils sont là, partout, au travail évidemment, mais chez toi aussi, il y en a plein le garage mais pas seulement, dans ta chambre c’est pareil, et regarde un peu de près sous ton lit, et même dedans, tu verras (sans parler de la salle de bain !). Et quand tu sors de chez toi, dans ce monde encombré de trucs, tu fais comme si de rien n’était, tu marches d’un air dégagé des trucs, pour faire comme tout le monde, pour faire comme si les trucs n’étaient pas là, parce qu’on n’en finirait plus, si on devait se préoccuper de tous les trucs et tous les machins – et pourtant, pourtant, on ne peut pas le nier, aucun truc n’est totalement dépourvu d’intérêt, tous méritent l’attention, si seulement il n’y en avait pas tant, tant de trucs, trop, trop de trucs vraiment.
Il faudrait faire quelque chose. Eh bien oui, on ne va rester comme ça, à se laisser envahir par les trucs. Ecologiquement, c’est évidemment une catastrophe : la menace des trucs sur notre environnement est telle qu’elle ne mérite même plus d’être appelée la menace des trucs sur notre environnement mais plutôt la menace des trucs sur les trucs qui constituent désormais notre environnement (dont on sait qu’ils menacent eux-mêmes d’autres trucs qui constituent notre environnement, enfin, vous voyez ce que je veux dire). Et les nécessités écologiques ne sont pas en contradiction avec une économie bien comprise : il est bien évident que cette inflation des trucs est économiquement néfaste aux trucs eux-mêmes, chaque truc se trouvant dévalué dans sa singularité par l’inutile concurrence des autres trucs. Enfin bref, je lance l’idée : il est temps aujourd’hui de faire quelque chose pour une gestion plus intelligente des trucs. Il ne sera pas dit que je ne suis pas un écrivain engagé dans son époque.



Commentaires

Il est beau ce rivage des turcs.
Commentaire n°1 posté par Dom A. le 13/10/2011 à 20h00
Ah ! Ne me parlez de tous ces trucs qu'on trouve sur les rivages, sur les visages, dans les virages et dans les images.
Réponse de PhA le 13/10/2011 à 21h41
... ah oui, Philippe, ça c'est de l'engagement, quoi. (Et je propose un slogan pour ce combat :  "On ne naît pas truc, on le devient.")
Commentaire n°2 posté par Gilbert Pinna le 13/10/2011 à 20h04
Mais si l'on devient truc, notre cause est désespérée.
Réponse de PhA le 13/10/2011 à 22h36
Si jamais vous retrouviez le mien - il était en plumes - vous seriez bien aimable de me le rapporter
Commentaire n°3 posté par L'employée aux écritures le 13/10/2011 à 23h49

Encore un peu de patience...
Réponse de PhA le 14/10/2011 à 19h42
ah! j'adore! (pas les trucs, mais ce texte)
 
C'est madame sauvage qui va être contente.
Commentaire n°4 posté par Aléna le 14/10/2011 à 10h16
Hélas, j'ai bien peur que ce texte soit encore un truc de plus.
Réponse de PhA le 14/10/2011 à 19h38
On pourrait éviter l'invasion des trucs par un troc généralisé.
J'ai vu que Gonzague Truc était un écrivain (de droite) qui la baillait belle à un de ses lointains épigones, Gonzague Saint-Bris.
J'échange un vieux Samsung U 600 contre un iPhone 4S, me contacter à l'adresse : dominique.hasselmann@wanadoo.fr
 
Commentaire n°5 posté par Dominique Hasselmann le 14/10/2011 à 14h53
En effet, le troc est un bon moyen de limiter la prolifération des trucs ; ça fera partie du programme.
Réponse de PhA le 14/10/2011 à 19h44
Comme Aléna : j'adore ce truc, euh ce texte!
En ce moment, je cherche un truc, pour ne plus avoir besoin de faire mes vitres (0_0)! Non, pas de femme de ménage svp.
Commentaire n°6 posté par Ambre le 17/10/2011 à 11h51
J'ai ce truc-là, c'est très efficace.

Réponse de PhA le 17/10/2011 à 17h36
Ah! j'ai adoré ce texte, Philippe!!
On peut le copiercoller sur FB?
Franchement: mérite une large diffusion!!
 
Commentaire n°7 posté par chris le 17/02/2012 à 15h59
Avec le lien, pourquoi pas ? Merci !
Réponse de PhA le 17/02/2012 à 16h28

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