jeudi 6 octobre 2011

Les Ales se mettent à deux.



C’est ici qu’apparaissent les cerviboucs. Et pas en Grèce ni en Saintonge, je le sais pour en avoir levé deux dans toute ma carrière. Ils sont rares et signe d’une chasse faramineuse où le temps d’un passage long comme un transsibérien, les étangs résonnent et montent contre la voûte comme le son concentrique d’une cymbale unique frappée par le maillet d’un dieu. Sa larve s’enfouit soixante-six ans dans les vases profondes des tourbières archéologiques, dévorant la vie sous toutes les formes disponibles en ces lieux, puis elle sort de terre et monte dans les eaux troubles, à l’envers, crochets et mandibules pointés vers le fond, aspirant au fur et à mesure de son ascension le corps de ses proies liquéfiées par sa piqûre. Au terme de la traversée, elle se plante comme un pieu à la surface des eaux, gonflée des esprits animaux qu elle a gobés en montant et commence alors à sécréter une substance translucide qu’un œil non averti ne saurait apercevoir et qui flotte comme un crachat tombé au; gré du vent, et s’enroule sur lui-même, et sèche, racornit, pétrifie, et de mou devient dur, d’habitacle devient coquille, de coquille, diamant et du diamant qui se fend surgit le cervibouc tel un génie trop longtemps compressé dans une cartouche de propane. Il est dense, il est volatile. Il est lourd, il est lent. Il est effilé comme un roseau, coupant, lourd, habile comme un éléphant. Il est souple, résistant, aguerri, inconscient. Il peut remonter le courant d’une tempête d’un seul coup de talon comme un homme-grenouille au fond d’une piscine déserte. Il couche un champ de blé en le caressant de l’index. Il ne faut pas qu’il souffle. Quand il se lève, mes cymbales sont des jupes autour de ses chevilles, il tire à lui les  corpuscules soyeux des eaux qu’il a pompées, il les enlève, il gonfle, il monte comme un soufflet dans un four brûlant, il rassemble les mouvements de l’air, il grossit, il densifie, il dilate à la mesure d’un Boeing sur le point de quitter la piste, il gondole, il renfle, il ronfle, il prend appui sur son train d’appui et il s’arrache, il décolle.
 
Céline Minard, scomparo, Les Ales, Cambourakis, 2011.
 
 
D’ailleurs je les ai vues – et entendues – toutes les deux, il y a déjà quelque temps, au Comptoir des Mots – et c’était mémorable.
Les Ales ? Ale veut savoir ce qu’ales sont ? Alors qu’ale aille donc voir , puis qu’ale aille à la librairie de son quartier et qu’ale réclame les Ales.
 
 

Commentaires

Bonjour,
C'est plus fort que moi, faut que je vous signale le 's' en trop à 'quelque' dans"il y a déjà quelques temps"

Voilà, c'est tout, ( vous pouvez effacer ce commentaire indélicat si vous le souhaitez )
Bien à vous.
Commentaire n°1 posté par Cédric le 07/10/2011 à 12h00
Flûte, à cause de vous je vais devoir frustrer l'Entrée des Sauvages. (Merci.)
Réponse de PhA le 07/10/2011 à 18h25
Brrr ! Peur ! Je pense à ce qu'on me disait quand j'étais gosse pour m'éloigner de la rivière, la Charente. Il y avait une vieille, ni femme ni bête, seulement une vieille, et j'aurais couru les plus graves dangers si je m'étais trop approché des berges. 
Commentaire n°2 posté par Dominique Boudou le 07/10/2011 à 12h13
Et je suis sûr que ce devait être une tentation terrible.
Réponse de PhA le 07/10/2011 à 18h26
J'adore ce "s". N'y touchez surtout pas. Je crois que ça va passer.
Commentaire n°3 posté par L'entrée des sauvages le 07/10/2011 à 14h24
Mince, il a déjà disparu !
Réponse de PhA le 07/10/2011 à 18h27

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