Je
ne dispose pas d’un vocabulaire de gare suffisant. Sortie de mes
registres habituels je manque de mots et ceux auxquels, par défaut, je
recours ne me satisfont qu’à
moitié. Je cherche, par exemple, une expression générique qui
voudrait dire mobilier urbain, mais appliqué à la gare et en
déclinant toute la typologie spécifique. Recoupant celle
du mobilier urbain de la ville dans laquelle la gare est incluse et
lui imposant les extensions nécessaires à l’usage ferroviaire de
l’enclave. Mobilier urbain ferroviaire de l’intérieur de
la gare me semble trop long pour s’imposer dans un langage
courant partagé. Je me fais assez aisément comprendre quand je déclare
que des bancs publics, des téléphones
publics, des boîtes à lettres et des poubelles
sont à la disposition des voyageurs dans les halls de la gare, mais je
ne saurais rendre compte de la variété des
édicules qui hérissent les quais, sans parenté aucune sur les
trottoirs parisiens. Je n’en maîtrise pas le lexique ni la nomenclature,
je tâtonne, mal à l’aise, avec des mots ressemblant
vaguement aux choses que je veux évoquer, sans parfaitement les
figurer. Des mots mal ajustés.
Donc je désignerai sous le nom de rondelles, ces disques protecteurs qui vraisemblablement s’appellent, dans leur
langue de gare, autrement. Les rondelles s’empilent par
cinq quand elles entourent des pieds de potences métalliques remplissant
diverses fonctions et sont alors moulées dans une matière
caoutchouteuse, noir/gris poussière graisseuse. Mais les rondelles
s’empilent par quatre seulement quand elles perdent leur circonférence
complète, se réduisent à des trois-quarts,
demis, voire quarts de ronds vissés/scellés à la base de piles en
béton ou dans leurs encoignures. Découpées à l’emporte pièce dans un
métal peint couleur minium écaillé. Troisième type, beaucoup
plus rare, la rondelle unique, modèle caoutchouc noir/gris
poussière graisseuse, encerclant de massives colonnes de béton en bouts
de quais. Si je comprends bien que ces rondelles
protègent le mobilier urbain de la gare des heurts violents de tout
ce qui roule sur les quais, je ne comprends pas pourquoi les empiler
tantôt par cinq, tantôt par quatre, sans parler de la
justification des solitaires.
Martine Sonnet, Montparnasse Monde, Le temps qu’il fait,
2011.
Voir et nommer, c’est un couple. Le nom permet, mieux : autorise à voir la chose qui sans lui restait invisible. Tous les
ornithologues vous le diront, les mycologues aussi, ne parlons pas des entomologistes. C’est pareil pour l’Amérique
et l’amour, nous disait l’autre jour Albin qui avait ouvert son
Larousse à Am-. C’est pourquoi il nous a fallu, il nous faut encore des
explorateurs, pour voir avant nous et malgré l’absence
de nom ce que grâce à eux enfin nous verrons.
Depuis que je suis Martine Sonnet qui arpente la gare Montparnasse
sur son blog puis sur publie.net et enfin au Temps qu’il fait, mon regard d’usager assez fréquent s’égare dans la gare, se heurte et
rebondit régulièrement contre ces rondelles caoutchouteuses désormais dites « de Martine » ; les romans de
gare décidément ne manquent pas de rebondissements.
Commentaires
Grandeur et misère des solitaires qui n'appellent rien ni personne. Quant à voir, j'en suis juste aujourd'hui à prononcer le mot.
Commentaire n°1
posté par
Gilbert Pinna
le 04/02/2011 à 15h15
Pour voir ces rondelles caoutchouteuses, c'est désormais facile : il suffit de cliquer sur... leur nom.
Réponse de
PhA
le 04/02/2011 à 15h32
Magique !... cliquer, voir, nommer , c'est tout un.
Commentaire n°2
posté par
Gilbert Pinna
le 04/02/2011 à 15h34
Nous sommes les dieux du numérique.
Réponse de
PhA
le 05/02/2011 à 15h46
En réalité, ce sont des butoirs qui permettent d'éviter ça. C'est la vie duraille.
Commentaire n°3
posté par
Moons
le 04/02/2011 à 15h57
Le temps change une catastrophe en jouet cassé par un enfant brutal.
Réponse de
PhA
le 05/02/2011 à 15h49
Merci cher Philippe, en nous y mettant tous je pense que nous
arriverons à nommer toute chose qui mérite de l'être. Partageons nous
équitablement la tâche : je vous laisse les oiseaux, les
champignons et les insectes et je prends les rondelles.
Commentaire n°4
posté par
L'employée aux écritures
le 04/02/2011 à 16h20
En disciple de Linné, j'aurais bien proposé Rondella martinae, mais cela fait-il assez ferroviaire ?
Réponse de
PhA
le 05/02/2011 à 15h57
On laisse aussi les potamochères et les babiroussas
Commentaire n°5
posté par
Moons
le 04/02/2011 à 16h25
Sans oublier les hylochères.
Réponse de
PhA
le 05/02/2011 à 15h57
Un bouquin , une histoire, une auteure débarque dans votre vie sans
crier gare. On reste sans voix, manquant de mot pour le dire. En cas de
désir libidineux de sauter l'auteure, il est prudent de
vérifier l' hauteur sinon plus dure sera la chute. Quand , une
locomotive est "à cul" , il y a t-il des rondelles? Soyons optimiste ,
il vaut mieux posséder l'objet que le mot. C'est un moindre
mal . De deux maux, il faut choisir le moindre!
Commentaire n°6
posté par
patrick verroust
le 04/02/2011 à 16h31
On ne se méfiera jamais assez des mots.
Réponse de
PhA
le 05/02/2011 à 15h59
Ces rondelles sont comme des soufflets entre les wagons : le
caoutchouc avait des débouchés à l'époque des plantations Michelin.
Martine aurait pu s'appeler Micheline.
Commentaire n°7
posté par
Dominique Hasselmann
le 05/02/2011 à 11h48
Celles-ci restent en gare.
Réponse de
PhA
le 05/02/2011 à 16h07